Vacciner les blaireaux contre la tuberculose bovine ?

Le blaireau (Meles meles) est un Mustélidé accusé de divers dégâts agricoles. En France, s’il n’est pas classé « Espèce Susceptible d’Occasionner des Dégâts » (ESOD), sa chasse est autorisée et il peut faire l’objet d’Arrêtés préfectoraux autorisant la mise en place de battues. C’est la fameuse polémique récente de la vénerie sous terre du blaireau. Au Royaume-Uni, le gouvernement tente de lutter depuis plusieurs décennies contre la tuberculose bovine. Le blaireau étant un vecteur de cette épizootie, il autorise régulièrement l’abattage de ce mustélidé. Récemment dans le Derbyshire, une telle mesure a été proposée pour lutter contre la tuberculose bovine. L’association Wildlife Trusts s’y oppose, et une action judiciaire est en cours.

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Blaireau européen (crédits : Byrdyak / Wikimedia).

La tuberculose bovine : biologie d’une maladie transmissible au bétail et à l’homme

Généralités

La tuberculose bovine est une maladie transmissible à l’homme (zoonose). Elle est provoquée par la bactérie Mycobacterium bovis. Cette bactérie infecte les bovins, cervidés, sangliers, blaireaux et renards. Chez les animaux d’élevage, les symptômes n’apparaissent que tardivement. Elle va surtout provoquer une perte économique liée à l’interdiction de commercialisation des animaux, du lait, ou encore de la viande. Depuis 2001, la France se classe comme indemne de tuberculose bovine, car la prévalence annuelle de troupeaux infectés ne dépasse pas 0,1 %. Pour conserver ce statut, il faut que le taux de troupeaux indemnes soit supérieur à 99,9 % au 31 décembre de chaque année pendant 6 ans (Directive 64/432/CEE). C’est pourquoi les foyers persistants d’infection en France, notamment en Nouvelle-Aquitaine et en Côte d’Or, sont préoccupants pour l’élevage français et l’exportation de ses produits.

La tuberculose bovine se transmet le plus souvent par voie respiratoire entre animaux du même élevage. Mais la bactérie peut également se transmettre aux animaux sauvages par transmission orale, ingestion d’aliments ou encore l’eau contaminée. En effet, la bactérie peut survivre plusieurs mois dans le milieu extérieur avant d’infecter un nouvel hôte. La transmission vers l’homme reste marginale en Europe : moins d’un millier de cas en 2019 pour 65 décès enregistrés. Au niveau mondial, cette zoonose a contaminé 140.000 personnes, principalement dans les pays d’Afrique et d’Asie du Sud-Est, pour près de 11.400 décès. La mortalité humaine reste très inférieure à Mycobacterium tuberculosis (1,4 million de personnes en 2019). Des règles d’hygiène simples limitent ainsi la transmission à l’homme : se laver les mains après contact des animaux, désinfecter d’éventuelles plaies. Le réseau de surveillance alimentaire garantit également la sécurité du consommateur.

Les foyers d’infection en France

Les bovins domestiques demeurent le principal réservoir de l’infection à Mycobacterium bovis. La maladie concerne donc avant tout le cheptel bovin. Cependant, la faune sauvage (cervidés, sangliers, carnivores) peut servir de réservoir et contaminer ensuite de nouveaux élevages. Il est donc important de mieux connaître l’incidence de la maladie au sein des populations sauvages.

Depuis quelques années, les autorités sanitaires font face à une augmentation progressive du nombre de cas. L’incidence a ainsi doublé depuis le début des années 2000. De même, il persiste une concentration des cas en Côte d’Or, en Dordogne, en Corse et dans le Sud-Ouest. Le réseau de surveillance Sylvatub permet de mettre en œuvre des moyens de lutte afin d’éviter que les foyers d’infection ne se pérennisent.

Un plan de lutte national contre la tuberculose pour la période 2017-2022 associe différents acteurs (représentants de la filière élevage, vétérinaires, chasseurs). Il a pour objectif d’intensifier les mesures de dépistage en élevage et de renforcer les mesures de biosécurité afin de mieux protéger le cheptel français.

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Sources : Plateforme ESA.
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Evolution de la prévalence et de l’incidence de la tuberculose bovine de 1995 à 2020 en France métropolitaine. Sources : Plateforme ESA.

Gestion de la tuberculose bovine chez les populations de blaireaux

La lutte contre la propagation de la tuberculose bovine dans les campagnes inclut la régulation des populations de blaireau par l’abattage. L’agent pathogène Mycobacterium bovis entraîne une faible mortalité des blaireaux, et les individus contaminés sont susceptibles de propager la maladie pendant des années. De plus, les animaux sauvages présentent peu de symptômes de la maladie, empêchant tout prélèvement spécifique sur le terrain. En France, l’abattage par piégeage dans les terriers et sur les coulées ne s’effectue que dans les zones où bovins et blaireaux sont dépistés positifs. Depuis 2018, pour des raisons éthiques, cette mesure ne concerne plus les zones tampon. La campagne dure cinq années après le dernier cas positif dépisté. Cette durée a pour objectif de contrôler tout risque de résurgence de la maladie autour des élevages bovins. Après quoi, la régulation cesse.

La stratégie d’abattage au Royaume-Uni

La mesure concerne donc une partie très restreinte du territoire et vise à agir avec précision, de manière « réactive ». A l’inverse de la stratégie anglaise, que le Derbyshire Wildlife Trust condamne fermement. Depuis 2013 au Royaume-Uni, la Loi autorise les destructions « pro-actives » de Blaireau qui visent à baisser leurs densités de populations. La vénerie sous terre est interdite outre-Manche. Aussi les blaireaux sont régulés par abattage des individus piégés. Cette action radicale est à l’origine d’un des plus grands fiascos dans le sud-est du pays. En effet, l’abattage des mustélidés avait in fine fait exploser le taux de tuberculose bovine dans leur population, favorisant la propagation de la maladie ! Enfin, il faut abattre plus de 70% d’une population de blaireaux pour lutter efficacement contre la tuberculose bovine. C’est pourquoi les associations de protection de la nature sont vent debout contre l’abattage. Un débat animé et souvent violent (actes de sabotages anti-abattages …) agite le sort du blaireau anglais.

Mais pourtant, depuis 2010, on assiste à un changement de volonté politique. L’abattage du blaireau est redevenu un argument de lutte contre la tuberculose bovine. Un point majeur apparaît ainsi dans les différentes campagnes menées. Il faut en définitive tuer beaucoup de blaireaux pour gagner en efficacité, car les résultats sont variables. Par exemple, dans les fermes infectées par la tuberculose bovine, on note 66 % d’incidence réduite dans le Gloucestershire et 37% dans le Somerset. Après deux ans d’abattage dans le Dorset, aucun changement d’incidence de la tuberculose bovine n’a été observé. Ces résultats sont donc trop variables pour valider systématiquement la méthode. Les associations de protection de la nature et bon nombre de scientifiques proposent en conséquence de l’abandonner au profit de la vaccination.

La vaccination des blaireaux contre la tuberculose bovine

Stratégie vaccinale de la faune sauvage

La vaccination orale réduit les bacilles excrétés par les blaireaux infectés. L’objectif n’est pas de soigner les individus atteints, mais de contrôler la diffusion de la maladie. Il s’agit d’une première étape, dont l’efficacité partielle nécessitera un renouvellement de la campagne de vaccination.

En France, la stratégie vaccinale consisterait à cibler les blaireaux dans les zones de forte prévalence de la tuberculose bovine. La vaccination aurait alors pour objectif de contribuer aux mesures de lutte sanitaire. Dans les zones non-infectées, les experts de l’ANSES estiment cependant que la vaccination n’aurait que peu d’intérêt, pas même préventivement. De même, vacciner la faune sauvage est plus efficace lorsque les populations présentent une faible densité. C’est pourquoi les campagnes de vaccination devraient s’accompagner de mesures de régulation du blaireau. Par ailleurs, le vaccin oral nécessite encore quelques progrès expérimentaux. Il faut trouver un appât adapté au blaireau et s’assurer que la diffusion du vaccin soit efficace par ce moyen. Enfin, l’injection directe de doses reste compliquée à réaliser sans campagnes de piégeages.

La vaccination au Royaume-Uni

Le Royaume-Uni organise depuis 6 ans une campagne de vaccination des blaireaux. Une méthode qui selon l’association Wildlife Trusts est même moins chère qu’organiser l’abattage local des blaireaux. Les spécialistes britanniques évaluent l’efficacité du vaccin sur les populations sauvages de blaireaux de l’ordre de 75%. En réalisant une campagne de vaccination chaque année sur la durée de vie moyenne du blaireau anglais (5 ans), cela permet de progressivement tendre vers une population renouvelée et saine vis à vis de la tuberculose bovine. En 2012 au Pays de Galles, un programme de vaccination remplaçait ainsi progressivement les campagnes d’abattage.

Conclusion

La lutte contre la tuberculose bovine pourrait être améliorée localement en France grâce à la vaccination. Mais comme le souligne un rapport à l’ANSES commandé par plusieurs associations de protection de la nature, une campagne efficace de vaccination nécessiterait des mesures conjointes de régulation des populations de blaireaux. La stratégie anglaise vaccinale est cependant intéressante à suivre, dans la mesure où les abattages « réactifs » démontrent une efficacité trop variable. En France, l’abattage des blaireaux en raison de la tuberculose bovine reste très restreinte. Elle pourrait même perdurer pour augmenter l’efficacité de potentielles campagnes de vaccination orale. La gestion des populations sauvages dans la lutte contre la tuberculose bovine demeure hélas fortement associée à court terme à des mesures accompagnatrices de prélèvements.

Cependant, si la vaccination peut présenter un atout majeur à long terme dans ce combat sanitaire, n’oublions pas que les connaissances épidémiologiques quant à l’incidence de la tuberculose bovine chez le blaireau sont encore insuffisantes. Une meilleure connaissance scientifique de cette espèce aux comportements sociaux complexes permettra, sans aucun doute, d’améliorer les pistes de réflexion quant à une gestion plus éthique de ses populations dans les zones infectées.

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