Le Grand Livre du Climat, sous la direction de Greta Thunberg et publié en France par les éditions Kero | Calmann-Lévy. Cet ouvrage conséquent représente une telle mine d’informations qu’il me semblait nécessaire d’en livre une lecture commentée.
Tout d’abord, quelques mots sur le travail de Greta Thunberg autour de ce livre. Il ne s’agit pas de sa seule plume, la jeune militante a souhaité constitué un recueil de textes scientifiques couvrant les plus larges thématiques possibles associées au #climat et ses conséquences. Greta Thunberg a donc écrit différentes préfaces, au livre comme à ses sections, ainsi qu’une postface concluant l’ouvrage. En lisant sa plume, sommes loin des préjugés médiatiques et titres chocs des réseaux sociaux. Le ton est nuancé, les propos renseignés.
Comment fonctionne le climat ?
Pour cette première section, quatre scientifiques et deux journalistes apportent leurs contributions. Cette entrée en matière se veut très vulgarisée, avec trois grandes introductions de qualités inégales malheureusement. Les messages sont clairement martelés :
- Le changement climatique est une évidence scientifique.
- L’humanité dans sa globalité n’en est pas responsable, mais une portion minoritaire sur-consommatrice d’énergies et produits émetteurs de GES.
- Ce n’est pas le capitalisme qui est responsable du réchauffement climatique, mais la manière dont nous l’appliquons sur le plan socio-économique.
- Les grands groupes industriels sont au courant depuis les années 70 et ont pourtant agi en désinformateurs sur la crise climatique. En définitive nous sommes face à un scandale comparable à l’affaire du cancer du fumeur et l’industrie du tabac.
Continuons sur les bases géophysiques expliquées dans ce livre. Il n’est pas question ici de cours magistral mais de vulgarisation claire écrite par des scientifiques à l’adresse du grand public. Néanmoins le contenu n’est pas pour autant édulcoré. C’est d’ailleurs l’intérêt de cet ouvrage collectif lorsque les dômes de chaleur sont expliqués simplement, sans surcharger de modèles complexes pour le lecteur débutant. De même pour les autre GES en-dehors du CO2 et l’explication du forçage radiatif. Simple, clair, net. De même pour les boucles de rétroaction, clairement expliquées en prenant soin d’aborder l’incertitude générée par ces phénomènes géophysiques sans les dévoyer
Conséquences géophysiques du réchauffement climatique
La section aborde aussi les conséquences géophysiques et météorologiques du réchauffement climatique. L’article sur l’élévation du niveau des océans, très pédagogique, permettant de comprendre à la fois les contributions des glaces continentales et de la dilatation thermique. Sans oublier les autres événements catastrophiques majeurs consécutifs.
L’actualité récente nous a rapporté les terribles incendies de forêt de Lytton. Plus la planète se réchauffera, plus les feux de forêt gagneront en puissance et en fréquence. Qu’il existe des facteurs aggravants (résineux, mauvais entretien forestier) ne remet nullement en question ce fait désormais étayé par les données scientifiques.
Conséquences sur les biomes et écosystèmes terrestres
La surexploitation forestière humaine accentue aussi les effets du réchauffement climatique comme en Amazonie, où le déboisement et la fragmentation massive des habitats entraînent une accélération du phénomène de « savanisation » de la forêt tropicale. Et ne croyez pas que seule l’emblématique Amazonie soit abordée. Les menaces planant sur les forêts boréales et tempérées, ainsi que l’illusion du stockage CO2 pérennisé par de jeunes plantations sylvicoles rapidement exploitées, sont aussi abordées.
De même la crise de la biodiversité, et ses liens réciproques avec le réchauffement climatique, sont mis en avant dans les articles de cette seconde partie. Des textes simples mais percutants à chaque fois. Nous y retrouvons d’ailleurs un article de Dave Goulson, auteur scientifique ayant déjà alerté sur le déclin des Insectes, même si ses propos sont télégraphiés par rapport à son livre « Silent Earth ».
Deux articles détaillent les impacts sur les sols en lien avec le cycle biogéochimique du carbone. La séquestration biologique du CO2 dans les sols pourrait se retrouver débordée par une boucle rétroactive alors que le réchauffement favorise les microorganismes du sol émetteurs de GES. De même, le sujet inquiétant du réchauffement du pergélisol est traité par un chercheur spécialiste de la question, qui résume en un court mais synthétique article le sujet et ses inquiétudes en tant qu’expert.
Enfin, dernier article de cette seconde partie, les fameux scénarios climatiques, que le Working Group III du GIEC a d’ailleurs récemment mis à jour dans son rapport d’avril 2022 : « Climate Change 2022: Mitigation of Climate Change« . L’objectif de +1,5°c ou +2°c d’anomalies de températures d’ici 2100 est déjà compromis, comme nous alerte le GIEC. Il est donc grand temps de prendre des mesures politiques mondiales concrètes, et non plus se fixer de vagues promesses comme lors de l’accord de Paris.
Quels impacts pour l’Humanité ?
Les liens entre santé et climat y sont d’abord décrits. Avec forcément une pensée pour les canicules : aujourd’hui, 37% des décès liés à la chaleur entre 1991 et 2018 sont liés au changement climatique. Mais aussi 1% de l’ensemble des décès survenus dans le monde sont imputables à la chaleur. Soit une très faible proportion de décès directement liés au changement climatique. Or qu’en est-il des conséquences indirectes sur la mortalité ? De même les émissions de GES s’accompagnent aussi d’émissions de polluants atmosphériques ! D’où le lien établi entre réchauffement climatique, activités humaines et santé. Un RC maintenu < +2°c éviterait 4,5 M de décès 1,4 M d’hospitalisations et 1,7 M de cas de démence. A lire à ce sujet l’article de Colon-Gonzalez et al. (2021) qui a rédigé le texte de cette troisième partie sur la propagation des maladies à transmission vectorielle (ex : la dengue) en lien avec le réchauffement climatique.
De manière générale, l’émergence de zoonoses risque d’être favorisée par le réchauffement climatique. Et quand on voit le marasme de la crise COVID 19 ces dernières années, imaginer l’émergence de pandémies chroniques similaires, voire pires, ne présage de rien de bon pour nous. De plus, l’augmentation de la teneur en CO2 atmosphérique booste la croissance végétale mais diminue la qualité nutritive des légumes; leurs teneurs plus faibles en fer, zinc ou encore vitamine B par exemple présage de problèmes nutritionnels dans les décennies à venir.
Samuel S. Myers à l’origine de cet article sur le réchauffement climatique et la nutrition évoque un déclin des pollinisateurs. Selon lui, 1/2 million des décès mondiaux annuels sont liés à cette perte de service écosystémique. Lutter contre le réchauffement climatique n’est donc pas seulement une priorité environnementale, c’est aussi un impératif incontournable pour assurer un avenir viable à l’humanité.
La suite de cette partie consacrée aux impacts du réchauffement climatique sur l’Humanité s’intéresse cette fois-ci à des aspects plus sociologiques. Le monde se réchauffe, quels seront les impacts pour nos sociétés ? Il est toujours délicat quand on n’est pas trop versé combats sociaux (ne me jetez pas la pierre, on ne peut pas s’intéresser à tout) de se plonger dans des textes engagés, mais Jacqueline Patterson dans son texte « Le racisme environnemental » sait être pédagogue. On comprend donc, de part les inégalités sociales et communautaires (pour ne pas dire racistes) prises en exemple aux USA, qu’il y aurait forcément amplification de ces problèmes en lien avec le réchauffement climatique.
De même pour la situation des réfugiés climatiques, fortement liée aux migrations socio-économiques actuelles. Ce sont des grenades géopolitiques à venir que le réchauffement climatique s’apprête à dégoupiller.
Il est d’ailleurs intéressant de lire que les témoignages du changement climatique en cours nous sont apportés par les autochtones eux-mêmes plutôt que par des rapports indirects d’ONG occidentales. C’est indéniablement un point fort de ces récits.
En bref, chaque degré de réchauffement climatique supplémentaire n’a pas le même effet à l’échelle globale. Ce qui aura de profondes implications sur les inégalités mondiales.
La chaleur peut exacerber les comportements violents. Ce ne sont que des corrélations, la violence est multifactorielle. Mais dans quelle mesure le réchauffement climatique dégradera la paix sociale ? Selon Marshall Burke, d’une hausse de 10-20 %.
Enfin, quelques remarques économiques dans cette troisième partie, avec un chiffre-clé particulièrement fort. En 2021, Moody Analytics chiffrait à 69.000 milliards de dollars l’impact d’un RC de +2°C sur l’économie mondiale.
De même le baromètre des assurances est toujours intéressant à comparer. Le groupe britannique Aon a déboursé 1,8 billions de $ en 2000-2010 liés aux intempéries. Pour 2010-2020, ce chiffre s’élève à 3 billions de $. Le monde des assurances le sait, le réchauffement climatique est en marche.
Ce qui pourrait mener à une crise immobilière sans précédent : si les assurances font exploser leurs tarifs pour des catastrophes naturelles en raison du réchauffement climatique, ou refusent de couvrir des assurés en raison de risques accrus, nous pourrions aboutir à une crise du secteur !
Des biens immobiliers deviendraient invendables pour cette raison, d’autres sortiraient des assurances et se retrouveraient sans dédommagements aux premiers dégâts venus, alors que les compagnies d’assurances sombreraient sous le poids des indemnisations à verser.
Bref, le baromètre économique s’agite déjà, et cela constitue une preuve parmi d’autres que le réchauffement climatique est bel et bien une réalité désormais indiscutable.
Greta Thunberg l’écrit avec raison, le monde économique a beau avoir conscience de cette réalité, elle n’en demeure pas moins cyniquement focalisée sur la croissance. Et les politiques préfèrent de loin cet indicateur à ceux climatiques. Seulement voilà, l’enjeu est crucial, les actions doivent être menées d’urgence, comme le rappelle le Kévin Anderson, professeur universitaire spécialisé en énergies et réchauffement climatique. Un résumé de la situation publié en une image dans le AR6 du GIEC (2022).
Ce qui est souvent critiqué dans ce Grand Livre du Climat, ce ne sont pas les « gens ordinaires » résidents de l’Union Européenne, mais les énormes inégalités sociales nées d’un hédonisme consumériste exacerbé. On peut s’imaginer qu’il s’agit de pointer du doigt « l’autre ». Et pourtant, les chiffres mis en avant sont troublants. Dire que les 10% de nos concitoyens les plus fortunés consomment tellement que ramener leur niveau de vie à notre ordinaire suffirait à réduire les émissions de GES d’un tiers ! Cela ne peut que laisser songeur.
Et si cela ne suffisait pas, les quelques journalistes invités à participer à l’ouvrage comme la suédoise Alexandra Urisman Otto en rajoutent à nouveau en révélant avec quelle légèreté les politiques nationales abordent leurs plans climatiques ! Déprimant.
Crise énergétique et réchauffement climatique
Nous en venons aussi aux premiers constats sur la crise énergétique et le réchauffement climatique. Sans surprises, la part belle est faite à l’opposition entre énergies renouvelables et énergies fossiles. Ce qui se justifie, mais l’énergie nucléaire semble ici oubliée. C’est pourtant une source d’énergie à très bon rapport g(CO2)/kWh et donc un allié dans la lutte contre les émissions de GES. Pour autant, si le Grand Livre du Climat en parle peu, l’ouvrage note qu’il s’agit d’une « source d’énergie fiable et faible en carbone » (p. 229). Cette critique peut sembler banale. Fukushima et Tchernobyl cités inévitablement en exemple, le stockage des déchets évoqués comme « problématique » sans plus de réflexion. L’ouvrage survole le sujet, certes.
Mais il n’en reste pas moins tout aussi critique sur le mirage des énergies vertes. L’éolien se révèle source de « perturbation de la faune sauvage » et peut impacter « les populations avoisinantes ». L’hydrogène vert, l’énergie hydraulique, les parcs à énergie solaire, la biomasse ne sont pas non plus vendus comme des solutions miraculeuses. Les commentaires de Greta Thunberg peuvent sembler une énumération de défauts sans approfondissements salutaires. Il faut donc se concentrer sur le message global : il n’existe pas de solution parfaite en matière d’énergie, si ce n’est commencer par une sobriété énergétique bienvenue. L’ouvrage ne satisfait pas complètement la réflexion, mais il en dresse un axe néanmoins crédible et souligne prudemment sa complexité.
Techno-optimisme et géoingénierie
Puisque nous sommes dans la critique, le techno-optimisme s’en prend aussi un coup avec un court article rappelant au combien la géo-ingénierie n’est pas une solution crédible face au réchauffement climatique. Au moins c’est dit, et le livre passe à autre chose. Pour autant, un article entier propose des méthodes d’élimination des GES enrayant leurs émissions : biocapture par les habitats naturels, bioénergie avec captage et stockage de carbone, précipitation du CO2 à l’aide de broyats de roches riches en silicates de calcium, et autres projets similaires.
L’élimination du CO2 par divers procédés est déjà discuté plus en détails par l’AR6 du GIEC (2022). Le public néophyte trouvera donc dans le Grand Livre du Climat quelques premiers éléments de compréhension.
Pour résumer, d’un côté le risque d’emballements incontrôlés du climat et de l’environnement par la géo-ingénierie sont survolés, de l’autre quelques méthodes de séquestration du CO2 sont proposés. Pour autant le lecteur curieux restera peu renseigné en si peu de pages.
Et c’est bien là un problème de cet ouvrage, qui étant très généraliste et destiné au plus large public possible, risque de frustrer le lecteur initié en quête d’informations plus détaillées. On reste ici sur notre faim, c’est au lecteur de creuser les questions soulevées.
L’empreinte climatique
Bref, toute solution étudiée, nous en déduisons de manière très triviale à ce stade que nous devons absolument freiner nos émissions de GES. Il est donc temps, dans cette quatrième partie, de s’intéresser à notre empreinte climatique.
Agriculture, alimentation et réchauffement climatique
Commençons par rappeler que l’emprise de l’humanité sur les espaces naturels a fortement augmenté depuis la date repère de 1850 (souvent utilisée comme début chronologique de comparaison en climatologie). Mais la production agricole répond-elle aux besoins mondiaux ?
Le but n’est pas ici de condamner l’agriculture moderne, mais de se poser les bonnes questions.
- La productivité agricole mondiale remplit-elle efficacement son rôle de « nourrir la planète » ?
- Comment peut-on réduire considérablement son empreinte environnementale ?
Et c’est précisément ce sur quoi les discussions devraient être focalisées. Nous devons trouver de nouveaux moyens de garantir la production agricole tout en préservant les agroécosystèmes : leurs biotopes et leurs biodiversités. Cela signifie interroger les pratiques agricoles, questionner les habitudes alimentaires, mais aussi lutter contre le gaspillage alimentaire, source de gaz à effet de serre et de perte conséquente de nourriture.
Concernant la production alimentaire, l’article de Michael Clark, expert en sciences de l’environnement de l’Université d’Oxford, reprend en partie la revue parapluie qu’il avait co-écrite sur les impacts de la production alimentaire sur la santé et l’environnement. Une revue parapluie, c’est quoi ? Il s’agit d’une synthèse de revues systématiques ou de méta-analyses sur un sujet de recherche. Les revues parapluie sont parmi les plus hauts niveaux de publication de faits et preuves scientifiques actuellement publiés.
L’article de Clark et al. (2019) représente un élément bibliographique particulièrement « robuste » au regard d’une notation sceptique de toute preuve scientifique. Clark et al. (2019) estiment que l’ensemble des filières associées à la production alimentaire représente 30% des émissions mondiales de GES (et non pas uniquement l’agriculture, estimée à 18,6 %). Mais occupe aussi 40% des surfaces émergées et utilise 70% de l’eau douce. De plus, une mauvaise alimentation pourrait représenter jusqu’à 40% de la mortalité globale, en incluant les diabètes, accidents cardio-vasculaires ou encore les cancers colorectaux. L’idée est aussi de comparer ces chiffres environnementaux et de santé dans les détails.
Un des graphiques de cette revue parapluie est republié dans ce livre (p. 249). Bien entendu, Clark note avec raison que l’impact environnemental d’un aliment peut varier selon ses modes de production. Mais globalement, comparer impacts environnement & santé donne ceci :
Deux autres figures de cette revue parapluie permettent de compléter l’article d’ouvrage de Clark, pour le lecteur intéressé. Nous y retrouvons une comparaison intéressante des différentes produits d’origine animale notamment. Conclusion : net désavantage de la viande rouge (transformée ou non).
Ce qui rejoint les réflexions autour d’une consommation raisonnée de viande rouge et de charcuterie, comme souvent discuté ici ou dans la presse scientifique. D’ailleurs, Clark le rappelle lui aussi, il faut limiter notre consommation mondiale de viande. Pas uniquement pour l’environnement, mais aussi pour notre santé (on le répète, surtout viande rouge, produits d’origine animale transformés). Cela équivaut aussi pour nous à manger finalement moins de ces aliments (régimes flexitariens).
Clark est très clair, un régime végétal est la plus grande transformation alimentaire envisageable pour réduire l’impact environnemental, mais un mix POV / POA est tout à fait possible pour une limite +1,5°c. Sauf que l’urgence climatique risque de nous forcer la main.
En définitive, pour faire face à la crise climatique comme à la crise de la biodiversité, comme le répète Sonja Vermeulen dans l’article d’ouvrage suivant, il faut effectuer une mutation de l’agriculture pour optimiser les pratiques et les productions.
Activités industrielles et réchauffement climatique
Ne croyez pas cependant que seule la production alimentaire fait l’objet de critiques. L’industrie, qui tous secteurs confondus représente +30% des émissions globales de GES, subit aussi un interrogatoire. Or la demande industrielle va doublier d’ici 2050. Tandis que, problème désormais bien connu, si des pays occidentaux comme la France ont désormais des émissions de GES en baisse, c’est aussi parce qu’ils ont délocalisé une partie de leurs productions industrielles les plus polluantes.
Après un article revenant sur le fiasco politique et industriel du projet de centrale de captage et stockage du CO2 en Norvège, véritable miroir aux alouettes au demeurant, passons à un autre gros volet des émissions de GES : les transports. On notera la pique bien placée contre les techno-solutionnistes ! Même si je n’irais pas comme le journaliste Stéphane Foucart jusqu’à considérer que ces techo-optimistes sont forcément climatosceptiques. Leur biais cognitif réside dans une foi inébranlable en une climato-technologie balbutiante.
Sur ce secteur émetteur de GES que sont les transports, quelques réflexions intéressantes sur les technologies longues à la transition énergétique comme l’aviation. L’idée proposé par l’article d’ouvrage étant de réfléchir à un usage raisonné sans pour autant l’interdire. Nous sommes donc face à un constat d’urgence climatique, sans qu’une grande action internationale véritablement dynamique et engagée ne se mette vraiment en place. Il est temps de commencer à aborder les propositions concrètes de cet ouvrage collectif.
Et à ce sujet, il faut dénoncer le consumérisme de nos sociétés occidentales. Nous ne sommes pas les pires, mais les plus mauvais élèves impressionnent par leur consommation frénétique. Un foyer américain possède 300.000 objets en moyenne ! Vous connaissez peut-être l’émission de TV réalité Storage Wars avec ses box débarras abandonnés vendus aux enchères. Sauf que oui, louer un box pour y ranger son trop-plein d’objets est devenu une banalité aux USA.
Or qui dit surconsommation dit aussi déchets. Et nos poubelles débordent ! Mal ou trop peu recyclés, parfois déplacés à l’autre bout du monde sans résoudre le problème, ces déchets polluent et participent aux émissions de GES.
Car au final, ce ne sont pas les fabricants qui nous imposent la fast fashion par exemple. Mais les consommateurs qui s’y précipitent. Si nous décidons qu’un vêtement doit durer des années et n’être changé que lorsqu’il est définitivement foutu, alors l’offre s’adaptera. Bref, nous sommes victimes de notre surconsommation ! Je ne crois pas au levier de la taxation et de l’interdiction moralisatrice, souvent préconisée avec un laïus culpabilisateur et paternaliste par nos politiques écologistes, je suis pour une prise de conscience.
La société de consommation s’appuie certes sur des leviers psychologiques puissants de paraître et de circuit mental de la récompense, il n’empêche que son moteur économique demeure la loi de l’offre et de la demande. Loin de culpabiliser les ménages, cet ouvrage cherche à faire prendre conscience d’un puissant levier à notre disposition, nous autres individus émettant une infime part de GES : nous avons le choix de consommer responsable.
Et une fois de plus, cet ouvrage collectif dirigé par Greta Thunberg met l’accent sur la réflexion du lecteur et sa prise de conscience. Ce qui est une fois de plus un excellent point de cet imposant mais nécessaire ouvrage sur le réchauffement climatique.
Immobilisme politique ?
S’il apparaît évident de réduire nos émissions de GES, le discours politique est-il à la hauteur de ces enjeux ? La compensation carbone devrait servir à réparer autant que possible nos émissions anthropiques. Or elle sert d’excuse pour contrebalancer et pérenniser notre rythme d’émissions actuel. Elle ne réduit pas les émissions, elle les banalise. Le greenwashing pourrait nous mener à un monde à + 3,2°c d’ici 2100.
Même l’objectif « zéro émission nette en 2050 » semble déjà trop tard pour limiter le réchauffement climatique à +1,5°c d’ici 2100. D’autant plus que de nombreux pays industriels à fortes parts d’émissions de GES ont déjà prévenu, l’objectif ne sera peut-être pas atteint.
Enfin les actions globales pour viser +1,5°c de réchauffement climatique se heurtent au problème de justice climatique. Nous avons massivement émis des GES pour atteindre notre niveau de développement économique et technologique actuel. Mais quid des pays émergents ? Comment demander aux pays du sud de réduire leurs émissions de GES alors que leur développement est une course effrénée pour s’extirper de la misère et gagner en confort de vie ? En réalité nous n’écoutons guère leurs aspirations et besoins. Ces réflexions nourrissent le thème de justice climatique, qui nécessite aussi de repenser le monde économique pour réellement atteindre les ambitieux objectifs climatiques.
Agir pour le climat
Cinquième volet consacré aux actions pour le climat. A ce stade l’ouvrage se répète quelque peu. Les articles permettent cependant de grapiller des informations sans pour autant lire l’intégralité du contenu. Ce qui permet de rendre les propos tenus globalement homogènes. Le « guide » du consommateur citoyen responsable pour un climat stoppé à +1,5°c nous est surtout présenté par Kate Raworth, think-tankeuse et universitaire à Oxford. A ce sujet, le niveau fixé de modération sur les transports, consommation, habillement, loisirs, etc peut varier légèrement dans cet ouvrage selon l’auteur de l’article ou le think-tank auquel il est associé. Il y a aussi un côté business du message climatique.
Mais bonne nouvelle, armé de ce livre, vous aurez sous les yeux tout les conseils généraux qui vous seront nécessaires. Donc pas besoin de surconsommer en achetant d’autres ouvrages papier superflus qui augmenteraient votre bilan carbone. L’éco-anxiété et le militantisme climatique sont aussi abordés d’un regard bienveillant et encourageant. C’est peut-être là mon principal point de désaccord avec l’ouvrage. Car à mon humble avis, ces actions chocs médiatiques actuelles risquent à terme de décrédibiliser le message.
Gidon Eshel professeur universitaire physique en remet une couche contre l’élevage bovin. Il n’a pas tort même si le modèle visé sous sa plume est l’insoutenable élevage industriel américain. Pour autant, les propos développés dans cet ouvrage sur ces questions d’élevage sont souvent trop courts et nécessiteraient plus d’approfondissement. J’avais déjà évoqué plus haut l’article de l’ouvrage sur la viande rouge et les co-impacts environnementaux et santé.
Par ailleurs, d’autres articles du Grand Livre du Climat abordent notamment les ressources halieutiques. Malheureusement, ces textes manquent de développement et font la part belle à l’aquaculture. Or limiter les prises sauvages en favorisant l’élevage n’affranchit pas de tout impact environnemental. C’est hélas le parti-pris dans cet ouvrage. Il faudrait mener une relecture bien plus critique pour la prochaine édition de l’ouvrage !
Justice climatique
« Ce n’est pas le sentiment de culpabilité qui va nous sauver – c’est la justice. Mais l’un ne va pas sans l’autre ». Vaste programme qu’ouvre Greta Thunberg dans son interlude à la cinquième partie de cet ouvrage, consacrée aux actions climatiques à mener. Une des premières conditions mises en avant demeure la propagation d’une « prise de conscience » climatique. Ce n’est pas faux, l’urgence climatique n’est pas vraiment au cœur de nos préoccupations médiatiques.
Selon la politiste Erica Chenoweth, le seuil de bascule pour modifier le comportement de nos sociétés serait de 25% d’engagement significatif parmi nos concitoyens. Dans l’idée de gens ordinaires suivant déjà les préceptes du « guide climatique » exposé avant je suppose. Pour autant, le simple citoyen peut être un levier puissant. Il n’empêche, malgré 61 % des français déclarant participer activement à la lutte pour la protection de l’environnement en 2021 (Blanc, 2022), on ne peut pas vraiment parler de point de bascule.
L’article socio-politique d’Erica Chenoweth est certainement fondé, mais dans quelle limite ce chiffre-clé de 25% de concitoyens engagés pour le climat aboutirait vraiment à une bascule politique majeure ? Ou bien les problèmes sont autres, plus complexes ? Pour autant, se déclarer engagé pour le climat, puis zapper de chaîne ou s’en retourner consommer, n’est-ce pas un travers ordinaire pour nous tous ? Peut-être faut-il aussi chercher de ce côté. Pour Gorge Monbiot (écrivain militant), la faute revient aux médias.
L’abrutissement télévisuel n’aide pas à faire éclore une véritable prise de conscience du grand public. Mais les grandes rédactions journalistiques censées proposer une information sérieuse n’en demeurent pas moins tout aussi coupables. C’est peut-être ça aussi, ce sentiment de culpabilité nécessaire selon Greta Thunberg. Nous sommes anesthésiés par des médias mercantiles, l’offre politique climatique est en-dessous du niveau requis. La culpabilité est aussi à ce niveau.
Or voilà, le déni climatique se diffuse très bien dans les médias, car il prend l’apparence d’une opinion critique, d’un vent de contradiction permettant d’agiter le plateau d’invités. La voix dissonante fait le buzze, elle est recherchée pour faire de l’audience. Résultat de ces matraquages médiatiques, un auteur climatosceptique est traité sur les plateaux comme l’égal d’un scientifique ou d’un expert du GIEC. Et qu’importe si le discours est biaisé, la « liberté d’expression » prévaut. Sauf que la science n’est pas une opinion.
A ce stade de l’ouvrage, qui de mieux que Michael E. Mann pour prendre la parole ? La fameuse courbe en « crosse de hockey » a été la cible des climatosceptiques. Et pourtant, le sixième rapport du GIEC confirme une fois de plus l’emballement climatique actuel ! En réalité, la comparaison faite entre crise du COVID 19 et crise climatique est vraiment frappante. Les moyens colossaux dépensés durant la crise sanitaire, l’effort « de guerre » semblable à la Seconde Guerre Mondiale semblent démesurés face aux moyens dérisoires mis en place en faveur du climat.
A l’heure où je poursuis cet article, de nouveaux remous financiers agitent la Silicon Valley Bank. Le monde des start-ups tremble. Le système économique sur lequel nos sociétés prospèrent est bancal. La crise sanitaire du COVID 19 a mis en avant nos fragilités. Et pourtant, personne n’a tiré de leçons de ces erreurs. La crise des subprimes à peine enterrée que les voyants repassent inlassablement au rouge. Comment le monde pourrait sereinement faire face à la crise climatique qui débute ?
Et qui dit crise du système économique dit crises sociales majeures. La situation n’est pas nouvelle, le rappelle en interlude Greta Thunberg en se livrant à l’auto-critique des émigrés suédois partis s’installer aux USA tout en participant au massacre des Amérindiens.
La crise climatique en cours ne peut qu’exacerber ces multiples crises sociales, qu’elles soient actuelles ou que nous en payons encore les conséquences passées. Un cercle vicieux prêt à laminer les efforts pour le climat. Greta Thunberg en profite pour médiatiser le sort méconnu d’autochtones eurasiens, les Samis vivant notamment en Scandinavie, persécutés par les politiques raciales suédoises passées, aujourd’hui victimes de l’injustice climatique.
Car le Grand Livre du Climat est un recueil d’articles de différents experts et scientifiques sous la direction de Greta Thunberg, la jeune militante s’est chargée des préfaces, interludes et postfaces. Ces textes sont aussi l’occasion de mieux comprendre ses réflexions autour de la crise climatique. Ils nourrissent nos choix d’engagement et de combats militants actuels. Bref, ce livre n’est pas qu’un recueil de données climatiques, c’est aussi un manifeste climatique.
Et j’écris « manifeste » sans aucun sous-entendu péjoratif. Bien au contraire, il est tout autant important de comprendre l’évidence scientifique du réchauffement climatique que les actions militantes pour le climat. Libre à chacun d’en approuver certaines et d’autres non. Mais encore une fois, ce volumineux ouvrage vise avant tout la pédagogie auprès du grand public. Que ce soit sur le plan scientifique ou militant climatique, il remplit parfaitement son rôle.
En France, nous avons peut-être les politiques que nous méritons. Notre système politique est en crise, même si je m’y intéresse peu, difficile de ne pas s’en apercevoir. L’offre électorale pour les grands enjeux nationaux est décevante. L’écologie est l’apanage depuis quelques décennies de partis politiques qui la travestissent en écologisme électoraliste. Au fil des scrutins, l’offre politique verte a fondu comme neige au soleil. Ne reste qu’un seul parti qui ne convainc pas les français.
Malgré 61 % de français préoccupés par les enjeux environnementaux, le candidat EELV censé représenter la prise de conscience écologique et climatique n’a fait que 4,63 % des suffrages aux Présidentielles. C’est une crise de défiance, fortement alimentée aussi bien par le traitement médiatique de la politique que le comportement de nos hommes et femmes politiques. Le discours ne passe pas car ceux qui devraient le porter le déforment, le maltraitent, le réinterprètent.
Féminisme et crise climatique
Prenez la fameuse polémique du masculinisme du barbecue. Polémique sidérante qui ridiculise complètement un sujet sociétal pourtant crucial de cette injustice climatique mondiale : la situation des femmes face à la crise climatique. On s’écharpe à savoir si les femmes reprendront une merguez ou une côte d’agneau sur la grille. Mais qui attise les braises de ce stupide barbecue médiatique ? Suivez mon regard. Le féminisme climatique sort-il gagnant de ces polémiques poubelles ? Non, bien-sûr que non.
Le public ne tire rien de ces petites phrases stériles de politiciens avides de briller dans les médias. Qui parle des différences sociales entre hommes et femmes dans les pays du Sud, exacerbées par la crise climatique ? Qui met en avant le combat pour le climat et pour la justice sociale des femmes africaines ? Des femmes du Mouvement de la ceinture verte ? De sa fondatrice Wangari Maathai, pourtant Prix Nobel de la paix en 2004, excusez du peu ?
Dans cet ouvrage collectif, la parole est donnée aussi à cette icône militante climatique et féministe. Celles qui agissent et luttent aussi bien contre la désertification que contre le recul des droits des femmes. Et quand le désert recule, quand les conditions des femmes progressent, les familles, les sociétés vont mieux. Ce sont ces femmes que les médias devraient mettre en avant. Et non tendre le micro à des polémistes qui brouillent les discours.
Il est vrai qu’écouter des discours si mal ficelés qu’ils en viennent à caricaturer leurs propos n’aide pas à relier inégalités sociales et crise climatique. Conjuguer les mots « féminisme » , « racisme » , « pauvreté » avec « climat » n’est pas évident de prime abord. Or ces sujets sensibles ont besoin d’éclairages pédagogiques, d’explications mettant en lumière le passé de nos sociétés. Sans pour autant matraquer de culpabilité les citoyens lambdas que nous sommes aujourd’hui. Les lecteurs intéressés pourront par exemple consulter la base de données WID.
Conclure sur le Grand livre du climat
La principale force de ce grand ouvrage sur le climat demeure la prise de conscience raisonnée, et non le matraquage culpabilisant. L’un est une source inspirante d’espoir et d’action, l’autre serait contre-productif. Remédier aujourd’hui aux inégalités d’hier pour compenser l’immense fossé des inégalités climatiques, cela ne consiste pas à se flageller continuellement sur un passé que nous autres, enfants du tiers-état, nous n’avons jamais contrôlé.
Avoir conscience de ces inégalités du passé, agir en conséquence et en intelligence, voilà un message fort et constructif. Comment ? Est-ce juste ou bien critiquable ? Le débat se pose sereinement, des solutions apparaissent, aucune injonction n’est martelée. Au final, le Grand Livre du Climat nous tend la main. Pour comprendre, connaître, évaluer, réfléchir et autant qu’on le puisse à son échelle agir. Son objectif n’est pas de nous juger, ni de nous assommer d’injonctions.
Il s’agit d’un compagnon de route indispensable face à cette crise climatique qui a déjà commencé. Loin des clichés médiatiques et des réseaux sociaux, le discours de Greta Thunberg est ici limpide. Elle n’est qu’une messagère, écoutez la science, écoutez ses acteurs.
J’ai voulu, dans ce très long article de lecture commentée, proposer une lecture progressive et critique, avec pour complément différentes sources et supports graphiques. J’ai tenu par cette démarche à respecter l’esprit de cet ouvrage tel que je l’ai compris. En tant que scientifique et enseignant de sciences, je suis sensible aux questions climatiques. Néanmoins ce livre m’a tout de même intellectuellement nourri. Il a fait grandir mes réflexions, m’a confronté à mes propres certitudes ; m’a convaincu parfois, dans d’autres cas non.
Mais il a rempli son rôle. En tant qu’enseignant, je suis depuis des années un militant pour le climat puisque j’alerte mes élèves des crises climatiques et environnementales que leurs générations devront affronter. Pour autant, nous avons toujours beaucoup à apprendre. Et c’est ce que nous propose ce grand livre sur le climat. Alors que la désinformation et le déni climatique reprennent de plus belle sur les réseaux sociaux, ce livre est un phare. Une bouée de sauvetage pour quiconque veut réellement comprendre les enjeux à venir. Je ne peux donc que vous conseiller fortement de vous procurer ce bel et précieux ouvrage. Et de lire, loin des polémiques médiatiques stériles, ce livre salutaire pour nous tous.