Le déclin global des populations d’oiseaux devient particulièrement inquiétant. C’est dans ce contexte qu’une méta-analyse du journal Ecology Letters pointe le rôle des néonicotinoïdes dans cette disparition. Selon les auteurs de cette étude (Molenaar et al., 2024), non seulement ces insecticides impactent indirectement la survie des oiseaux, mais pourraient même avoir des effets sublétaux directs. Une affirmation qu’appuie la comparaison statistique des données disponibles dans la littérature scientifique. Alors que l’interdiction des néonicotinoïdes fait débat en France, cette nouvelle étude apparaît comme un avertissement.
Diverses études pointaient déjà l’impact sublétal des semences enrobées sur des oiseaux granivores ou encore sur des espèces migratrices. La review de Molenaar et al. (2024) propose une méta-analyse de 1612 effets recensés dans 49 études différentes. Les auteurs montrent que les néonicotinoïdes nuisent systématiquement à la santé, au comportement, reproduction et survie des oiseaux. L’usage de ces insecticides représente donc un facteur direct et indirect de déclin des populations d’oiseaux, comme l’alertent les associations depuis plusieurs années déjà.
Une analyse statistique robuste des données disponibles
Pour traquer les effets des néonicotinoïdes sur les oiseaux, les chercheurs réalisent d’abord une requête des travaux disponibles depuis 1990. Cette recherche leur a fourni 325 articles, pour lesquels 50 articles répondaient à leurs critères de données pertinentes. Il leur fallait des articles étudiant divers néonicotinoïdes (l’acétamipride, la clothianidine, l’imidaclopride, le thiaclopride, le thiaméthoxame) sur différentes espèces d’oiseaux. Mais aussi la dose et la durée d’exposition, le niveau de concentration, ainsi que des réponses physiologiques et comportementales. Ces données servent pour analyses statistiques robustes, basées sur des modèles de méta-analyse multivariée déjà publiés dans la littérature scientifique.
Leurs résultats obtenus sont sans équivoque. L’exposition expérimentale aux néonicotinoïdes a des effets négatifs sur la reproduction, la santé et le comportement des oiseaux. Les indicateurs statistiques confirment la prédiction des auteurs selon laquelle l’exposition aux néonicotinoïdes a un impact direct sur les oiseaux. Aucun de ces insecticides n’est inoffensif pour les oiseaux, confirmant leur impact sublétal global.
Les arguments sceptiques face aux études écotoxicologiques ne sont pas soutenables
Il est évident que toutes les espèces d’oiseaux présents en milieux agricoles et habitats voisins ne sont pas documentés. Mais bien que l’état de l’art sur ce point soit partiel (12 espèces aviaires seulement), Molenaar et al. (2024) n’ont trouvé aucune variance inter-espèces ni aucun signal phylogénétique dans l’ensemble de données. Ce qui signifie que toutes les espèces incluses, à travers la phylogénie aviaire, sont affectées négativement par les néonicotinoïdes.
Une seconde critique souvent formulée par les détracteurs des études d’impact écotoxicologique pointe que les méthodes d’évaluation des risques ne reflètent pas nécessairement des conditions réalistes sur le terrain et dépendent largement de la méthode, de la quantité ou du type de composé utilisé. A nouveau, Molenaar et al. (2024) écartent ces critiques en rappelant que les doses administrées se basent sur des concentrations réalistes consommées par les oiseaux dans la nature. De plus, les sur le terrain montrent que les oiseaux consomment suffisamment de graines pour provoquer des effets sublétaux (Roy & Coy, 2020).
Sommes-nous en présence d’un écocide latent ?
Les auteurs de cette méta-analyse s’inquiètent également des effets néfastes sur de plus larges communautés aviaires. En effet, différentes espèces peuvent fréquenter les habitats agricoles de manière occasionnelle. Tandis que l’accumulation des néonicotinoïdes dans les sols (molécules résistantes à la dégradation) augmente fortement les risques d’exposition chronique. Non seulement les oiseaux peuvent s’exposer de manière directe, mais la contamination des sols empoisonne irrémédiablement les réseaux trophiques. La dispersion des polluants dans les paysages au-delà des parcelles agricoles induit également l’hypothèse d’exposition des oiseaux fréquentant les habitats terrestres et aquatiques voisins.
L’exposition des communautés aviaires aux néonicotinoïdes présente des effets directs comme indirects. Si cette conclusion apparaît désormais comme un fait scientifique tangible, elle suggère que ces insecticides soient bannis définitivement. Le risque écocidaire que ces substances de synthèse font peser sur la biodiversité devrait appeler à plus de prudence. Un message que la classe dirigeante peine à entendre dans le contexte actuel de crise agricole. Début novembre encore, des sénateurs déposaient un texte de loi pour « libérer la production agricole des entraves normatives« . Parmi leurs propositions, réautoriser les néonicotinoïdes, interdits en France depuis six ans. Un volte-face politique des plus préoccupants, dans le contexte actuel d’effondrement de la biodiversité.