Faut-il débaptiser les termes offensants en biologie et écologie ?

Le Congrès International de Botanique votait, le 18 juillet dernier à Madrid, pour débaptiser plus de 300 taxons de Végétaux. Leur reproche ? Ces espèces sont affublées d’un nom binominal prêtant à confusion avec une insulte utilisée durant l’Apartheid contre la communauté noire sud-africaine. Si la mesure peut sembler anecdotique, elle souligne une fois de plus la crise morale à laquelle les sciences naturelles sont actuellement confrontées.

Ce n’est qu’une seule lettre, mais elle signifie beaucoup de nos jours. Le nom binominal de ces espèces végétales africaines s’achevait par caffra. Si bon nombre d’entre-elles avaient été décrites et nommées avant l’Apartheid, il est impossible pour les botanistes contemporains de nier aujourd’hui l’emploi de ce terme dans des discours racistes. Aussi, une proposition soumise au Congrès International de Botanique visait à changer le terme caffra en affra. Une seule lettre qui permet également d’appuyer sur l’origine africaine de ces végétaux. La proposition a été adoptée de justesse à l’issue d’un scrutin secret tendu, avec 351 voix pour et 205 contre.

Protea caffra termes offensants
Protea caffra est l’un des Végétaux d’Afrique du Sud que le Congrès International de Botanique propose de rebaptiser.

Une crise morale en sciences naturelles

« Il serait formidable d’avoir un mécanisme permettant d’éliminer certains des noms les plus offensants », confie Lennard Gillman, biogéographe évolutionniste à la retraite, dans la revue Nature. Le Congrès International de Botanique de Madrid marque donc un tournant dans l’évolution des sciences naturelles, puisque désormais un Comité de Nomenclature nouvellement formé émettra aussi des avis moraux sur les prochains taxons botaniques soumis.

Hélas, ce n’est pas la première fois que la présence de termes racistes, immoraux ou encore sexistes sont signalés dans la taxonomie. Gillman & Wright (2020) dénonçaient récemment l’immoralité de l’empreinte colonialiste dans la taxonomie botanique. Et notamment le mépris que cette nomenclature génère face aux savoirs ancestraux peuples indigènes, quand il n’y a pas tout simplement pillage ou déni de leur propre culture. Aussi l’abandon de ces termes offensants se justifie sur le plan éthique comme moral.

A cela se rajoute une interrogation actuelle sur la pertinence d’attribuer encore de nos jours des noms propres à des taxons, en l’honneur de personnes spécifiques (Guedes et al., 2023). Et que dire de l’emploi encore présent de noms binominaux rendant hommage à des savants également connus pour leurs accointances esclavagistes, tels que Jean-Jacques Audubon ou Cecil Rhodes ? Roksandic et al. (2023) soulignent même que les règles taxonomiques sont tellement inadaptées à ces considérations morales qu’il serait possible, de nos jours, de rendre hommage taxonomiquement parlant à des dignitaires nazis !

Des réticences taxonomiques

Cheng et al. (2023) l’avaient souligné dans un article d’opinion de Trends in Ecology and Evolution. Certes, ces termes offensants sont utilisés par la communauté scientifique. Mais sans intention délibérée de nuire à des personnes, des communautés, des peuples ou des nations. Sauf que les conserver dans l’usage scientifique en connaissance de cause pose un problème moral. Il devient donc nécessaire de trouver des alternatives à la fois plus neutres et plus précises sur le plan scientifique. N’est-il pas justement du devoir du scientifique de s’épargner des sens douteux, ou des références offensant notre humanité ?

Le débat a également agité la communauté des zoologistes. En janvier 2023, la Commission internationale de nomenclature zoologique publiait un article dans le Zoological Journal of the Linnean Society en réponse à ces questionnements moraux. Pour les experts, la présence de termes offensants dans la taxonomie zoologique ne fait aucun doute.

Néanmoins, la Commission estime que renommer ces termes offensants risquerait d’apporter encore plus de confusion dans une taxonomie déjà suffisamment complexe. D’autant plus qu’il existe déjà des garde-fous éthiques pour les nouveaux taxons. Il n’appartient donc pas aux zoologistes de juger de la moralité des auteurs passés. Une position contestée par les publications de Harris & Xavier (2023) ou encore Roksandic et al. (2023) qui arguent que la taxonomie peut être éditée sans confusion majeure.

Un frein pour la conservation de la biodiversité ?

Enfin, certains auteurs s’inquiètent des conséquences de ces modifications taxonomiques sur la conservation des espèces et le droit de l’environnement. Argument qui demeure peu crédible, car le véritable problème en conservation des espèces et des milieux naturels ne se pose pas dans ce débat. En effet, la destruction actuelle de la biodiversité se fait trop souvent en dépit des réglementations en vigueur. Renommer un taxon protégé ne perturbera en rien le manque cruel de considération que nos décideurs portent déjà sur la nature.

Bibliographie

Cheng et al. (2023). Championing inclusive terminology in ecology and evolution. Trends in Ecology & Evolution, 38(5), p. 381-384.

Gillman L. N. & Wright, S. D. (2020). Restoring indigenous names in taxonomy. Communications Biology, 3(609).

Guedes et al. (2023). Eponyms have no place in 21st-century biological nomenclature. Nature Ecology & Evolution, 7, p. 1157–1160.

Harris & Xavier (2023). Name and shame : can taxonomists agree on systematic reforms ? Trends in Ecology & Evolution, 38(11), p. 1022-1023.

Roksandic et al. (2023) Change in biological nomenclature is overdue and possible. Nature Ecology & Evolution, 7, p. 1166–1167.

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