La suspension de la chasse à la Tourterelle des bois porte ses fruits ! Une étude de Carboneras et al. (2024) publiée dans la revue Conservation Letters montre des signes encourageants dans ce sens. Après des années de polémique entre ornithologues et chasseurs, cet article pourrait bien trancher définitivement le débat. Mais que dit précisément ce papier ? Selon ses auteurs, il suffit de comparer les dynamiques de population sur deux voies migratoires européennes. Sur la voie migratoire Ouest-Europe, la chasse est suspendue. Les effectifs de Tourterelle des bois ont augmenté de 25 % en 2 ans et la tendance démographique sur 10 ans s’est améliorée. Tandis que sur la voir migratoire centre-Europe pour laquelle la chasse est maintenue, les effectifs ont continué à baisser (−15 % de baisse).
Grâce aux méthodes de surveillance à grande échelle des populations de Tourterelle des bois, cette étude démontre l’efficacité d’un moratoire sur la chasse d’une espèce aviaire. C’est un exemple rare mais précieux qu’il est tout à fait possible de réagir à la surexploitation d’une espèce. Et ceci avec l’aide de mécanismes politiques étayés par la science.
Situation de déclin européen pour une espèce toujours chassable en France
Les populations de Tourterelle des Bois s’effondrent en Europe (-80% entre 1980 et 2015). Au Royaume-Uni, par exemple, la disparition de la Tourterelle des bois est catastrophique (-96 % entre 1995 et 2019). En France, les données STOC indiquent une chute des effectifs de population (-50,5 % en trente ans). En Espagne avant la suspension de sa chasse, Moreno-Zarate et al. (2023) montraient une sous-estimation des pertes réelles sur les populations. Notamment en raison de la mortalité indirecte suite à un tir handicapant ou invalidant (représentant jusqu’à 10% des tableaux de chasse). La pratique même de la chasse à la Tourterelle des bois présente donc un facteur majeur de déclin de l’espèce encore trop sous-estimé.
En raison de son fort déclin actuel, l’UICN classe l’espèce comme Vulnérable en Europe. Pour faire face à ce déclin, les Etats signataires de l’accord sur la conservation des oiseaux d’eau migrateurs d’Afrique-Eurasie (AEWA) se sont engagés à agir. La France avait élaboré en 2018 un Plan d’action international pour la conservation de la tourterelle des bois. En vertu de ce plan, la France s’est engagée à élaborer un « cadre solide de modélisation de la gestion adaptative » pour la chasse de cette espèce.
Mais en France métropolitaine, la Tourterelle des bois est toujours chassable. Néanmoins et depuis la saison cynégétique 2021-2022, sa chasse est suspendue (Arrêté du 28 août 2021). La LPO et One Voice avaient saisi le Conseil d’Etat pour suspendre l’arrêté du 27 août 2020. Il s’agissait du dernier Arrêté qui autorisait la chasse de la Tourterelle des bois à hauteur de 17 460 prélèvements. Le 11 septembre 2020, le Conseil d’État avait annulé l’Arrêté ministériel autorisant la chasse à la Tourterelle des Bois 2020-2021. Depuis, le Ministère de l’Ecologie publie des Arrêtés suspendant systématiquement la chasse de cette espèce en France métropolitaine.
Le faux argument d’une chasse intensive en Afrique du Nord
L’Arrêté du 2 août 2023 suspendait la chasse à la Tourterelle des bois pour la saison 2023-2024. Dans le récapitulatif de la consultation publique, 62,21 % d’avis étaient défavorables au motif de sa chasse « illimitée » en Afrique du Nord. Si les tableaux de chasse hallucinants postés sur les réseaux sociaux en Afrique du Nord tendraient à corroborer cette affirmation, il ne s’agit pas forcément des mêmes populations qu’en Europe. Or l’aire de répartition globale de l’espèce ne sous-entend pas qu’il existe une seule population homogène sur l’ensemble de cet immense territoire.
En effet, la thèse de M. Dubois (2002) intitulée sobrement « Contribution à l’étude de la tourterelle des bois » souligne que les chasseurs maghrébins chassent principalement la sous-espèce Streptopelia turtur arenicola, présente en Afrique du Nord jusqu’en Iran. Notre Tourterelle des Bois européenne appartient quant à elle à la sous-espèce nominale Streptopelia turtur turtur. Problème, et non des moindres, les deux espèces se ressemblent énormément sur le terrain !
Les cartes de répartition sont également trompeuses. Car elles se limitent à l’espèce et ne décrivent pas toujours les répartitions de chaque sous-espèce. Si la sous-espèce européenne peut faire halte au Maghreb, ce n’est que transitoire, le temps de reprendre son vol migratoire. Les prélèvements en Afrique du Nord de notre sous-espèce existent bien. Mais restent marginaux sur les risques encourus pour les populations européennes. Le principal problème de la chasse sur le trajet migratoire de la Tourterelle des bois européenne concernait, selon Lormée et al. (2016), les sites d’Andalousie où l’espèce effectue des haltes pré- et post-nuptiales.
Les chasseurs citent souvent l’argument des prélèvements maghrébins comme critique face à la suspension de la chasse en France. Cette surexploitation locale représente une menace de conservation à l’échelle global de l’espèce. Mais elle ne remet pas en cause la suspension de la chasse en France. Tout simplement parce qu’il ne s’agit pas de la même sous-espèce, ni des mêmes populations, de Tourterelle des bois.
La conservation de la Tourterelle des bois, un sujet épineux
Revenons quelques années en arrière. L’Arrêté du 27 août 2020 avait fixé pour la saison de chasse 2020-2021 les prélèvements à 17 460 tourterelles des bois. Nous étions bien avant la suspension de la chasse de cette espèce en France. Les facteurs de déclin ne faisaient pas de doute. Dégradation des habitat bocagers, agriculture intensive, perte de qualité des de sites d’hivernage (chasse locale, dégradation des sites naturels au Sahel), et changement climatique.
La chasse en Europe posait forcément un problème de conservation de la Tourterelle. Lormée et al. (2020) concluaient que les niveaux de chasse en Europe de l’Ouest excédaient la fraction d’individus prélevable ! L’auteur principal de cette étude, Hervé Lormée, est le coordonnateur de l’équipe Colombidés de l’Office français de la biodiversité. Ses prises de parole sur la Tourterelle des bois sont sans équivoque. « Une dizaine de pays européens peuvent encore chasser l’espèce. L’Espagne ne s’en prive pas avec un tableau annuel de 800 000 tourterelles. En Italie, c’est environ 300 000. En revanche, la Suisse ne chasse pas cette espèce » assénait-il dans la revue La Salamandre.
Un dilemme politique ?
Les quotas de tir en France ont diminué depuis la saison 2013-2014 (90 000 prélèvements). Pour la saison 2019-2020, l’Arrêté ministériel n’autorisait que 18 000 tourterelles. Pour la saison 2020-2021, le Comité d’experts sur la gestion adaptative de la Tourterelle avait même proposé un quota nul. « Les experts du comité de gestion adaptative ont estimé que l’état de santé de la tourterelle des bois au niveau européen justifiait un quota de tir à zéro en France » Hervé Lormée (La Salamandre).
Mais les choses ne s’étaient pas déroulé comme prévu, car le Comité de gestion et le Ministère de la transition écologique ont opté pour un prélèvement de 17 460 Tourterelles des bois. Pourquoi ce revirement ? Ce n’est pas à proprement parler un choix scientifique mais plutôt socio-économique. Lormée reconnaît cependant aux chasseurs des efforts pour la conservation du bocage, la plantation de haies et l’entretien de chaumes. Soit autant de bonnes attentions du Code de l’Environnement (Art. L420-1) : « les chasseurs contribuent au maintien (…) des écosystèmes en vue de la préservation de la biodiversité » . Or en cas de suspension, notre expert craignait un découragement de l’acteur cynégétique dans son implication pour la Tourterelle des bois. Une crainte déjà fondée dans la littérature scientifique (Madsen et al. 2015).
« Au vu des efforts consentis par les chasseurs pour la conservation du bocage, la plantation de haies et l’entretien de chaumes, un compromis devait être recherché pour satisfaire toutes les parties » déclarait Lormée dans La Salamandre. En effet, suspendre la pression de chasse puisse se révéler inefficace si rien n’est fait contre la dégradation des habitats (O’Brien et al., 2017). Seulement « il est évident que dans le contexte l’avis scientifique penche d’abord pour un moratoire visant à aucun prélèvement » rappelaient les Centre d’études biologiques du CNRS de Chizé dans La Nouvelle République.
Le débat n’est probablement pas clos
Que ce soit à la lumière des travaux de Hervé Lormée et de son équipe à l’OFB, ou encore des scientifiques de Chizé, la nécessité d’un moratoire de chasse était nécessaire. Et ceci sans équivoque possible. Néanmoins si les premiers résultats à court terme de Carboneras et al. (2024) confirment l’importance de cette suspension, rien n’est encore gagné pour la conservation de l’espèce. A long terme, le rétablissement d’habitats favorables à l’espèce est nécessaire. Et ceci nécessite le soutien de tous les acteurs sur le terrain. Or sans perspective de réouverture de la chasse de la Tourterelle des bois, perdrons-nous l’implication des fédérations de chasse ? L’avenir de l’espèce risque de passer par un difficile compromis qui ne satisfera ni les ornithologues, ni les chasseurs.