Un des enjeux actuels des sciences n’est plus de démontrer la véracité du réchauffement climatique, ni de corréler l’activité humaine à ce phénomène, mais d’anticiper ses conséquences futures sur l’environnement et nos sociétés. En effet, parmi les sujets de préoccupation liés au changement climatique, figure en bonne place la sécurité alimentaire mondiale. Dans quelles proportions les hausses attendues des températures pourraient perturber les récoltes futures ? Les rendements pourraient bien ainsi être affectés. Par conséquent, le spectre d’un effondrement agricole mondial reste encore un scénario des plus pessimistes. Mais la lenteur des prises de consciences politiques mondiales pourrait bien favoriser sa concrétisation.
« Notre maison brûle et nous regardons ailleurs » , déclarait feu le Pr. Jacques Chirac dans une célèbre phrase reprise par Greta Thunberg. Le GIEC estime ainsi que d’ici 2100, les températures moyennes à la surface du globe devraient augmenter de 3°C en moyenne. Ces modifications majeures des climats auront de lourdes conséquences, aussi bien sur l’environnement que sur l’économie et nos sociétés. Principal responsable de ce réchauffement climatique, l’émission croissante de gaz à effet de serre (dioxyde de carbone principalement) d’origine anthropique. En 2019, la teneur moyenne en CO2 dans l’atmosphère terrestre dépassait déjà les 415 ppm.
Une dynamique agronomique trompeuse
Cependant, la physiologie végétale nous apprend que l’augmentation des teneurs en dioxyde de carbone favorise aussi la croissance végétale. Ces résultats s’inscrivent même dans la fourchette des hausses actuelles de CO2 (Van de Geijn & Goudriaan, 1995). En effet, le plateau de saturation s’élève à des teneurs de 550 ppm pour les plantes de type C3 (coton, riz, blé, orge, haricots, tournesol, pommes de terre, la plupart des légumineuses, plantes ligneuses ou autres cultures maraîchères) et de 750 ppm pour les plantes de type C4 (maïs, sorgho, canne à sucre, mil, herbes à fourrage ou encore herbes tropicales).
La hausse de la pression partielle en dioxyde de carbone présente également un avantage sur la consommation d’eau des plantes en serre. Elle induit d’abord une contraction et une réduction des stomates par unité de surface foliaire. Ce qui diminue ainsi l’échappement de la vapeur d’eau par feuille (Van de Geijn & Goudriaan, 1995). Le phénomène est bien connu des agriculteurs, car il permet d’obtenir un gain de production de biomasse pour les cultures en serre tout en limitant leur consommation d’eau.
Ces données agronomiques pourraient laisser penser que l’agriculture mondiale tirera avantage des émissions de gaz à effet de serre. Malheureusement, la situation planétaire n’est pas aussi simple que dans une serre de culture sous contrôle. En effet, le bénéfice du dioxyde de carbone s’écroule lorsqu’il est combiné avec le rayonnement UV, la pollution à l’ozone (Heck et al., 1983) et la hausse des températures (Van de Geijn & Goudriaan, 1995). Premièrement, le rayonnement UV n’est plus contrôlé pour les cultures en plein air. Deuxièmement, les épisodes d’alerte à l’ozone troposphérique provoquent déjà des pertes agricoles. Troisièmement, les perturbations météorologiques liées à la hausse moyenne des températures ne pourront qu’amplifier les risques de sécheresse (Zhao & Running, 2010).
Un avenir sombre pour l’agriculture
L’impact du dioxyde de carbone n’est pas réparti de façon équitable sur la végétation du globe. Avec l’augmentation des teneurs en dioxyde de carbone, la végétation des latitudes septentrionales augmente également. Toutefois, cela ne compense pas la réduction du couvert végétal des latitudes méridionales. Le bilan global d’indice de végétation moyenne diminue à travers le monde, ruinant par conséquent le bénéfice attendu (Zhao & Running, 2010). Outre la sécheresse, le changement climatique favorise également la désertification des zones arides. Tandis que la hausse du niveau des océans entraîne une remontée d’eau saumâtre. La salinité des sols côtiers augmente alors, les rendant progressivement impropres aux cultures. Au Bengladesh, ce phénomène a déjà entraîné la perte de près de 10% des terres cultivables (Hossain, 2010).
Enfin, la hausse des températures et des teneurs en dioxyde de carbone contribue à stimuler les populations d’insectes phytophages. Alors que si la croissance des végétaux s’en retrouve améliorée, leurs systèmes de défenses contre les phytophages s’affaiblissent (Bale et al., 2002 ; ScienceDaily, 2008). Plus d’insectes destructeurs de récoltes sur des plantes fragilisées, voilà un dangereux cocktail qui n’est pas sans rappeler l’invasion africaine de criquets pèlerins.
Vers une instabilité alimentaire mondiale ?
L’argument d’une production agricole favorisée par les teneurs en CO2, comme nous pouvons le lire sur les réseaux sociaux, n’est donc qu’un leurre. Les chiffres actuels l’infirment déjà. Entre 1980 et 2008, la production mondiale de blé a chuté de 5,5 % et celle de maïs de 3,8 % en raison du changement climatique (Lobell et al., 2011). En 2014, le Guardian rapportait une étude prévoyant une baisse de 2 % des récoltes de blé, de maïs et de riz par décade selon le scénario (optimiste) d’une hausse des températures de 2°c en moyenne d’ici 2050. Dans le même temps, la population mondiale augmente sensiblement, notamment en Asie du Sud-Est où le riz est la base de l’alimentation. Il faudrait alors une hausse des rendements agricoles de 14 % par décade pour écarter le spectre d’une famine chronique à grande échelle !
Une étude de l’Université de Stanford va même encore plus loin. En se basant sur les prévisions climatiques d’ici 2040, ses auteurs estiment que les rendements européens de blé et d’orge pourraient chuter de plus de 20 % (Moore & Lobell, 2014). Leurs travaux, parus dans Nature Climate Change, discutent également des adaptations nécessaires pour que l’agriculture européenne puisse affronter ce déclin. Notamment un changement adapté des variétés cultivées et une amélioration de l’irrigation en plein champ. Toujours selon ces chercheurs, de bons choix agronomiques permettraient aux agriculteurs de réduire de 87 % les pertes de rendements prédites. L’enjeu est de taille, puisqu’il vise à assurer notre propre sécurité alimentaire dans les prochaines décennies face au changement climatique.
L’urgence d’une prise de conscience
Puisque le risque d’effondrement agricole et de pénurie alimentaire mondiale est réel, nous devons mener une révolution des modèles agricoles actuels pour faire face à l’urgence climatique. Peut-être que la crise sanitaire actuelle du coronavirus enclenchera cette prise de conscience au niveau politique. Il sera en effet salutaire de placer l’agriculture sur les rails d’un nouveau départ, à la fois soutenable et respectueux de l’environnement. Notre maison brûle, ne détournons plus le regard !
Bibliographie :
Bale, J.S. et al. (2002). Herbivory in global climate change research: direct effects of rising temperature on insect herbivores. Global Change Biology, 8(1), 1-16.
Hossain, M.A. (2011). Global Warming induced Sea Level Rise on Soil, Land and Crop Production Loss in Bangladesh. Journal of Agricultural Science & Technology, 1(2A), 266-270.
Heck, W. W. et al. (1983). A reassessment of crop loss from ozone. Environmental Science & Technology, 17 (12), 572A–581A.
Lobell, D.B.; Schlenker, W; Costa-Roberts, J. (2011). Climate Trends and Global Crop Production Since 1980. Science, 333(6042), 616-620.
Moore, F.; Lobell, D. (2014). Adaptation potential of European agriculture in response to climate change. Nature Climate Change. doi:10.1038/nclimate2228
« Warmer Temperatures Could Lead To A Boom In Corn Pests ». Science Daily, 27 décembre 2008. [En Ligne].
Van de Geijn, C.; Goudriaan, J. (1995) Les effets d’une teneur élevée en CO2 et d’un changement de température sur la transpiration et l’utilisation de l’eau par les cultures. In : Changements du climat et production agricole. FAO, Rome et Polytechnica, Paris. 472 pages. [En ligne].
Zhao, M.; Running, S.W. (2010). Drought-Induced Reduction in Global Terrestrial Net Primary Production from 2000 Through 2009. Science, 329(5994), 940-943.