Une courte histoire de la gestion forestière
La forêt couvre 31 % du territoire métropolitain français, soit 16,9 millions d’hectares. Il s’agit de la seconde plus importante utilisation des sols après l’agriculture. La superficie forestière s’accroît fortement depuis 1850. Sa progression, en hausse de 0,6 % par an depuis trente ans, est spectaculaire. En 1985, elle couvrait 14,1 millions d’hectares, soit une augmentation annuelle de 80.000 hectares !
La surface forestière européenne fut tout d’abord maximale à la sortie de la dernière ère glaciaire. Elle recouvrait alors jusqu’à 92 % du territoire métropolitain. Ce chiffre baisse dès que la révolution agricole s’installe au Néolithique. Les forêts couvraient ainsi jusqu’à 50 % du territoire gallo-romain. La chute de l’Empire romain et les périodes sombres du Haut Moyen-Age n’influencent ensuite que très peu le reboisement. Elle poursuit sa baisse jusqu’à son pourcentage actuel à la fin du Moyen-Âge. La forêt est un enjeu économique majeur depuis le XVIème siècle et la production de bois pour la Marine. Victime de surexploitation, elle régresse même jusqu’à moins de 10 % du territoire métropolitain (1827) ! Sans des grandes réformes comme celles des Forêts du Royaume par Colbert (1661-1669) et du Code forestier (1827), ce déclin aurait pu devenir encore plus dramatique.
Aujourd’hui, la forêt française est à 75 % privée, et la sylviculture exploite une ressource brute aussi fragile que stratégique. De plus, les enjeux du XXIème siècle sont nombreux. Parmi eux, le changement climatique représente un défi majeur pour la gestion forestière de demain. Sans un équilibre raisonné de ces forêts, la sylviculture française ne serait plus pérenne.
Qu’est-ce que l’équilibre agro-sylvo-cynégétique ?
Afin d’assurer un bon équilibre entre activités agricoles, sylvicoles ainsi qu’une faune sauvage riche et diversifiée, le Code de l’Environnement définit le principe d’équilibre agro-sylvo-cynégétique. Il s’agit bien selon l’Article L425-4 du Code de l’Environnement de « rendre compatibles, d’une part, la présence durable d’une faune sauvage riche et variée et, d’autre part, la pérennité et la rentabilité économique des activités agricoles et sylvicoles » . « L’équilibre agro-sylvo-cynégétique est recherché par la combinaison des moyens suivants : la chasse, la régulation, la prévention des dégâts de gibier par la mise en place de dispositifs de protection et de dispositifs de dissuasion ainsi que, le cas échéant, par des procédés de destruction autorisés » .
Pour atteindre cet équilibre agro-sylvo-cynégétique, les acteurs ruraux disposent donc des outils suivants :
- La mise en place d’un plan de chasse visant à réguler les populations de grands Ongulés.
- La mise en place de zones tampons..
- L’utilisation de moyens de protection (enclos, répulsifs, etc.).
- L’agrainage et l’affouragement dissuasifs afin de limiter les dégâts provoqués par les Ongulés (Art. L425-5 du Code de l’Environnement).
- Le maintien d’un équilibre écologique par l’introduction ou la réintroduction d’individus ou d’espèces.
- La création, entretien et restauration d’habitats naturels (talus, haie, mare, etc.).
Une forêt dépendante de l’intervention humaine
Sans intervention, les écosystèmes forestiers français sont incapables de s’auto-réguler. La sylviculture a donc besoin d’un équilibre entre conservation de la faune et de la flore, services écosystémiques rendus par les Ongulés, et préservation des dégâts liés à la prolifération du grand gibier. De même, l’agriculture est impactée par la hausse des effectifs d’Ongulés. Une gestion équilibrée entre biodiversité, agriculture et sylviculture est donc indispensable. La loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 met ainsi en place des comités paritaires en charge de la de la bonne gestion des massifs forestiers. Ce sont les commissions régionale de la forêt et du bois (CRFB), appuyées dans leur mission par les commissions départementales de la chasse et de la faune sauvage (CDCFS).
Le renouvellement forestier
La gestion forestière se base tout d’abord sur un renouvellement forestier permanent. Que ce soit en sylviculture de résineux ou de feuillus. Les écosystèmes forestiers français sont quasiment tous anthropisés. Il n’existe donc pas à proprement parler de forêt primaire en métropole française. Actuellement, l’enjeu majeur concerne l’adaptation des forêts aux changements climatiques. L’ONF préconise donc un plan de gestion ambitieux, passant par une réorganisation profonde de nombreux massifs forestiers et la plantation d’essences adaptées au futures conditions climatiques.
Grâce au plan de relance du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, les forestiers publics et privés planteront ainsi en deux ans près de 50 millions d’arbres. Un vaste programme, qui s’appuie notamment sur une organisation des forêts en mosaïques d’îlots résilients et interconnectés. L’objectif est donc clair : assurer la pérennité de l’ensemble des services écosystémiques assurés par les forêts.
La forêt mosaïque : un outil nouveau de gestion forestière
La forêt mosaïque est une préconisation de l’ONF pour réussir l’adaptation des forêts au changement climatique. Il s’agit de renforcer la diversification des essences, par des expérimentations menées dans des îlots d’avenir, et varier les modes de sylviculture. L’accent est également porté sur la conservation de zones naturelles laissées en libre évolution. Mais tout en assurant la conservation des services forestiers à tous les usagers de la nature.
L’impact du grand gibier sur la gestion forestière
Les Ongulés sont en extension et menacent le renouvellement des massifs forestiers. En France, 39% des forêts domaniales publiques présentent un déséquilibre forêt-gibier, selon le bilan patrimonial 2020 des forêts de l’Office national des forêts (ONF). Ce chiffre n’était que de 34% en 2015. Les principaux animaux concernés sont le Sanglier, le Chevreuil et le Cerf élaphe, dont la surabondance pose ainsi problème. En détruisant les jeunes plants, ces Ongulés risquent de compromettre les plans de renouvellement des massifs forestiers. Une régulation par la chasse demeure donc nécessaire à l’heure actuelle.
Le Cerf élaphe : un exemple d’espèce forestière à impact négatif
Le cas du Cerf élaphe est particulièrement représentatif de cette situation. La loi du 30 avril 1790 déclassa le grand gibier de son privilège royal et seigneurial. La chasse au cerf se démocratisa mais devint un massacre en règle qui faillit bien lui être fatal ! Le clientélisme destructeur des années 1830 poussa même les autorités locales comme les naturalistes et les veneurs à prédire une proche disparition de l’espèce. Ce n’est qu’au cours du XXème siècle, après la mise en place de mesures politiques favorables au retour du grand gibier, que le Cerf fut réintroduit dans de nombreux massifs forestiers.
Au lendemain des efforts de réintroduction du grand gibier, une situation multifactorielle entraîne la très forte hausse des populations. La disparition du Loup gris sur le territoire métropolitain au tournant du XXème siècle a tout d’abord créé un déséquilibre dans la dynamique naturelle des populations. Ce déséquilibre a ensuite été amplifié par les pratiques agricoles intensives modernes. Et enfin, le réchauffement climatique fournit un facteur favorable au succès reproductif des Ongulés. C’est ainsi que la population de Cerf élaphe augmente actuellement sensiblement (sources OFB / 2020).
Un déséquilibre des écosystèmes forestiers renseigné par des données scientifiques
La surabondance des Cerfs élaphes est un phénomène mondial sur ces dernières décennies (Côté et al., 2004). Leur surpopulation provoque des pertes économiques sylvicoles, agricoles, mais peut aussi favoriser transmission de maladies animales et humaines. L’ impact du Cerf élaphe sur les écosystèmes naturels est également dramatique. Leur alimentation sélective affecte la croissance et la survie de nombreuses espèces d’herbes, d’arbustes et d’arbres en modifiant abondance et richesse spécifique floristiques. Ces effets négatifs en cascade s’étendent même aux insectes, aux oiseaux et à d’autres mammifères. Un sur-broutage soutenu réduit donc la couverture végétale et la biodiversité. Mais il modifie aussi le cycle du carbone et perturbe le renouvellement forestier. C’est pourquoi, malgré l’indignation que peut susciter la régulation des Ongulés dans l’opinion français, il est impératif de réduire l’impact du Cerf élaphe sur les écosystèmes.
L’épineuse question de la responsabilité des dégâts agro-sylvicoles
La régulation par un plan de chasse département agréé par la CFCS est nécessaire à l’équilibre agro-sylvo-cynégétique. Mais la question de la responsabilité et du dédommagement en cas de dégâts n’en reste pas moins polémique. Selon l’Article L426-1 du Code de l’Environnement, « En cas de dégâts causés aux cultures, aux inter-bandes des cultures pérennes, aux filets de récoltes agricoles ou aux récoltes agricoles soit par les sangliers, soit par les autres espèces de grand gibier soumises à plan de chasse, l’exploitant qui a subi un dommage nécessitant une remise en état, une remise en place des filets de récolte ou entraînant un préjudice de perte de récolte peut réclamer une indemnisation sur la base de barèmes départementaux à la fédération départementale ou interdépartementale des chasseurs » .
De même, le propriétaire foncier peut très bien décider de conserver son droit de chasse en l’interdisant sur son terrain. Bon nombre d’associations de protection de la nature militent d’ailleurs dans ce sens auprès de leurs adhérents. Cependant selon l’Article L425-5-1 du Code de l’Environnement, « Lorsque le détenteur du droit de chasse d’un territoire ne procède pas ou ne fait pas procéder à la régulation des espèces présentes sur son fonds et qui causent des dégâts de gibier, il peut voir sa responsabilité financière engagée » .
C’est pourquoi la régulation du grand gibier demeure une question épineuse. D’un côté, la surabondance des Ongulés dans les forêts françaises impacte de plus en plus les finances des fédérations de chasse. De l’autre, la création de « refuges anti-chasse » comme la mauvaise gestion cynégétique de certaines associations risquent d’entraver le bon équilibre agro-sylvo-cynégétique. La gestion forestière représente en ce XXIème siècle un enjeu aussi bien écologique que politique.