Quels sont les impacts des plombs de chasse sur les super-prédateurs aviaires au sommet des réseaux trophiques ? Dans un article récent, Green et al. (2022) proposent d’évaluer l’empoisonnement aux plombs de chasse sur les populations de rapaces à travers l’Europe. Ces chercheurs ont recueilli les teneurs en plomb dans le foie de 300 rapaces (22 espèces) moribonds ou retrouvés morts. A partir de ces données, ils ont pu estimer le taux annuel de mortalité associée à ce métal lourd.
Une réduction des sources d’émissions au plomb dans l’environnement
Il faut d’abord revenir sur l’origine des émissions de plomb dans notre environnement. Depuis l’avènement de l’industrie, nos activités sont responsables de rejets massifs. Cependant, la plupart des secteurs d’activité ont fortement réduit leurs émissions. L’usage du plomb dans les activités récréatives telles que la chasse, la pêche et le ball-trap figure parmi les dernières. Les activités cynégétiques européennes disperseraient 14.000 tonnes de plomb par an. Ces particules s’accumulent dans le gibier non prélevé ou sont dispersées dans l’environnement. Cette source d’émission peut poser un réel problème écotoxicologique. Le plomb atomique est inoffensif, mais sous sa forme ionisée Pb2+, il devient toxique.
La réglementation européenne s’oriente vers une interdiction progressive de l’usage de munitions au plomb. Mais l’accumulation passée de grenaille dans les sédiments lacustres comme la biotransformation des éclats dans le gibier blessé présentent un risque sanitaire. Outre le saturnisme, les écologues suspectent une lente contamination de la chaîne trophique jusqu’aux super-prédateurs et charognards.
Relier bioaccumulation au plomb et impact sur les taux de survie
En premier lieu, le postulat des chercheurs (Green et al., 2022) est assez simple. Les espèces chassables ou des milieux aquatiques présentent le plus de risques de bioaccumuler le plomb. Aussi, leurs prédateurs et charognards devraient aussi accumuler ce métal lourd. Or dans un réseau trophique, la bioaccumulation s’intensifie le long du réseau trophique. C’est le cas pour les espèces marines et la contamination au mercure. Cela ne peut qu’être le cas pour le plomb et les rapaces.
Divers articles se sont par le passé penchés sur l’empoisonnement au plomb des rapaces. L’étude de Green et al. (2022) se propose quant à elle d’estimer les impacts au niveau des populations aviaires. A partir des données toxicologiques disponibles comme la concentration de plomb dans le foie, les chercheurs ont bâti des modèles statistiques. Leurs résultats permettent notamment d’appréhender l’impact potentiel de cette exposition alimentaire sur la surmortalité annuelle des rapaces.
Des individus en proportion important parmi dix espèces présentent des concentrations de plomb comprises entre 0,3 % et 16,5 %. Soit des teneurs dépassant le seuil de saturnisme. Le taux moyen annuel estimé de mortalité par empoisonnement au plomb est de 0,44 % [0,06 – 0,85 %].
Modéliser l’état des populations en absence d’empoisonnement au plomb
Les chercheurs ont ensuite comparé l’état des populations par rapport à un modèle sans empoisonnement au plomb. Chez dix espèces de rapaces, les populations sont en moyenne réduites de 6,0% [0,2% – 14,4%]. L’empoisonnement a réduit des populations ayant un taux de survie annuel élevé et un âge de première reproduction tardif. Enfin, les rapaces charognards ou spécialistes de la prédation du gibier de chasse subissent le plus fort impact négatif.
Evidemment, plus l’exposition plus forte, plus le risque d’empoisonnement aux plombs de chasse par bioaccumulation augmente. Cette corrélation se retrouve ainsi dans la corrélation entre densité de chasseurs et proportion de Buses variables empoisonnées.
Vers un bannissement des munitions au plomb
Cette étude démontre donc que le postulat de départ est plutôt solide. L’hypothèse se confirme d’un empoisonnement aux plombs de chasse par bioaccumulation dans le réseau trophique. L’Union Européenne veut une interdiction du plomb dans les munitions de chasse et le matériel de pêche dès 2023. Cette décision apparaît également justifiée au vu des conclusions de l’article.
La bioaccumulation du plomb dans les écosystèmes appelle d’urgence un bannissement de ce métal à brève échéance. Mais il n’est pas question de faire ici le procès de la chasse. En effet, l’usage de plomb dans les munitions de chasse répond aussi à des contraintes balistiques. Mais la mise en place d’alternatives se révèle parfois difficile. Néanmoins, malgré ces difficultés techniques ou économiques, le remplacement des munitions au plomb est enfin d’actualité. A défaut de retirer le plomb accumulé dans les sédiments, stopper la source d’émission n’en demeure donc pas moins indispensable.