Les produits phytosanitaires posent de réelles questions environnementaux et sanitaires. Parmi les pesticides les plus décriés actuellement figure le glyphosate. Cet herbicide systémique fut exclusivement produit par la firme Monsanto à partir de 1974 sous le nom commercial de Rundup. Désormais, son brevet est entré dans le domaine public (2000). Présenté à tort comme inoffensif pour les organismes non-cibles, les preuves des effets toxicologiques et éco-toxicologiques de ce défoliant et de ses sous-produits ne cessent de s’accumuler.
De très bons documents relatent en détails la bataille médiatique qui se joue actuellement autour du glyphosate. Reprenons cependant les déclarations chocs de Laurence Huc, directrice de recherche à l’Inrae et toxicologue. « Quand on ignore 90% de la littérature scientifique qui met en évidence des effets toxiques pour la santé humaine et pour la biodiversité du #glyphosate, oui ça ne répond à aucun canon scientifique » (France Info, 21/09/2023).
Le cri d’alarme de Laurence Huc
Laurence Huc détruit dans la presse le dogme d’un consensus scientifique autour du glyphosate, position forgée par les agences européennes. Or ces mêmes agences sélectionnent selon des critères non-académiques les études retenues dans leurs analyses. Elles ne peuvent donc en aucun cas être garantes d’un quelconque consensus scientifique objectif sur cet herbicide. Les lecteurs intéressés trouveront dans cet article (Factsory, 2022) quelques arguments complémentaires. Laurence Huc n’en est pas à son premier cri d’alerte sur le sujet.
Elle avait déjà expliqué ce paradoxe entre consensus scientifique et consensus d’agences de régulation sur l’antenne de France Culture. Cette chercheuse et Jean-Noël Jouzel avaient aussi publié en 2021 un article résumant ce décalage entre état de l’art académique et évaluation des pesticides par les agences réglementaires. Or comme le soulignent Laurence Huc & Robert Barouki (2021) le délai entre l’acquisition des connaissances scientifiques et leur prise en compte dans la réglementation semble très long ! Euphémisme de circonstance.
Le bisphénol A : un exemple de décalage entre sciences académiques et agences réglementaires
Ce décalage entre science académique et science réglementaire crée des lenteurs souvent difficiles à bien saisir pour le grand public. Un autre cas de molécule active, le bisphénol A, en est un parfait exemple. L’OMS définit les perturbateurs endocriniens depuis 2000 à partir des données scientifiques. Pour autant, les agences réglementaires ne manifestent pas pour autant une réelle volonté de limiter l’exposition au bisphénol A.
Le retard accumulé est tel que lorsqu’enfin l’EFSA propose de réglementer l’exposition au bisphénol A. La réduction journalière annoncée est d’un facteur de 100 000 ! La raison de ce revirement : la prise en compte d’études plus modestes mais pourtant pertinentes sur le plan académique, jusqu’alors écartées par l’agence (Stokstad, 2022). Il n’est pas étonnant que dans ces conditions de lenteur et d’interprétation arbitraire de la science académique, la science réglementaire induise d’éternelles polémiques et se présente comme une fabrique permanente du doute.
Une aubaine pour les différents lobbyistes industriels. Les agences nourrissent principalement l’argumentaire des marchands de doutes. Ce sont les éternelles litanies de comptes et associations sceptiques qui sous prétexte de « défendre la science » adoptent les conclusions des agences réglementaires sans aucun recul. Et puisque la relation entre recherche et réglementation connaît une crise majeure, chaque camp s’en remet à la justice. La multiplication des jugements sur des querelles d’évaluation de substances actives souligne à sa manière la crise épistémologique.
Le scandale de la certification BPL
La situation va-t-elle s’améliorer à l’avenir ? Probablement pas. La presse a mis en avant le problème de la certification BPL (Bonnes Pratiques de Laboratoire), qui s’apparente à un péage pour les laboratoires avant consultation de leurs études par les agences. Ces dernières privilégient notamment les études de labos certifiés BPL (Bonne pratique de laboratoire). Problème, ce label demande un investissement coûteux que les universités ne peuvent engager.
Le label BPL n’est donc pas un gage de qualité scientifique, mais apparaît comme un péage de « droit à être consulté » par les agences de réglementation. Alors que le processus scientifique académique passe par la validation des études dans des revues peer-reviewed. La quantité d’études listées par les agences réglementaires n’est donc pas forcément un signe de qualité. Cette sélection d’études étant subjective, elle ne reflète pas le véritable état de l’art sur les substances traitées.
Une criante opacité des données
Nous n’en avons donc pas fini avec les comparaisons édifiantes entre conclusions contradictoires des sciences académique et réglementaire. Comme dans l’exemple tout aussi révélateur des néonicotinoïdes.
Car Laurence Huc n’adopte nullement une démarche « complotiste » comme veulent le faire croire certains sceptiques. Associer les propos de cette chercheuse à des « discours anti-science » ou de « matrice du complotisme » n’est que diffamation. Ces basses attaques démontrent juste que les discours de ces partisans pro-glyphosate trahissent une méconnaissance de la crise épistémologique actuelle.
Conclusion
La science académique n’est pas la science réglementaire. Aussi ce qui fait « consensus » pour l’un, ne le fera pas pour l’autre. La question des pesticides n’est que la partie émergée d’une fracture épistémologique au sein de la communauté scientifique.
Ces deux modes de fonctionnement entre science académique et science réglementaire sont radicalement différents. Avec ce « péage payant » du label de BPL pour qu’une étude soit consultée, la recherche soufre d’un handicap économique.
La science académique s’appuie sur un principe de données reproductibles et de partage des résultats dans des revues peer-reviewed. La science réglementaire fonctionne de manière plus opaque et s’appuie sur une sélection partiale des études.