Les lâchers de gibier de chasse impacteraient-il la biodiversité ? Les chasseurs relâchent principalement trois taxons aviaires de gibier : le Faisan de Colchide, des Perdrix et des Canards. La présence de ces animaux d’élevage dans les écosystèmes pose question. Notamment leur impact sur la biodiversité et les réseaux trophiques. Certaines études sur le Faisan de Colchide avancent même un impact négatif. Mais un récent papier avance que la réponse n’est pas si simple que cela.
En Angleterre, les lâchers et gestion de gibiers à plumes concernent pas moins de 32 millions de faisans, 9 millions de perdrix rouges et 3 millions de canards colverts. La revue Ecology and Evolution s’interroge sur l’impact écologique de ces lâchers de gibiers à plumes. Le papier de Madden et al. (2023) ne permet peut-être pas de trancher définitivement le débat, mais elle apporte de nouvelles informations intéressantes sur ce sujet complexe.
Depuis plusieurs décennies en Angleterre, l’impact écologique de ces lâchers massifs interroge. Le rapport de recherche du RSPB de Mason et al. (2020) soulignait une explosion exponentielle des lâchers sur les 60 dernières années et identifiait plusieurs impacts écologiques et cynégétiques négatifs. Draycott et al. (2007) s’étaient également penchés sur l’impact de ces lâchers sur la biodiversité. Leurs résultats montraient des effets variables sur les communautés végétales et aviaires. Sage et al. (2020) résumaient dans une review les différents impacts alors connus des lâchers de Faisans et de Perdrix rouge en Angleterre. Les effets étaient tout aussi variables et complexes. Ainsi, dans un contexte de déclin des Lépidoptères, il est surprenant de noter l’étude de Robertson et al. (1988) rapportant une hausse de l’abondance et richesse spécifique en Papillons dans les aires de lâcher !
De nouvelles données terrain
Madden et al. (2023) se sont appuyés sur les réseaux et programmes de sciences participatives et citoyennes. Pas moins de 2,5 millions de données au total pour mener leurs analyses statistiques ! A partir d’une technique d’échantillonnage spatial, ils ont comparé 3284 carrés de grille. Les résultats sont très riches, et nécessitent forcément quelques commentaires. Car non seulement les auteurs se sont intéressés à des espèces ou taxons précis, mais aussi à des communautés d’oiseaux (milieux forestiers et agricoles).
Premier point, ils notent un déclin du Renard roux dans les aires de lâcher (plans de chasse). Certainement lié selon les auteurs à la pression de régulation des mésoprédateurs pour favoriser la présence de ces gibiers à plumes sur les territoires de chasse. Ensuite, leurs données indiquent une hausse des rongeurs et de l’Ecureuil gris (espèce invasive au Royaume-Uni). Est-ce une conséquence de la diminution des renards ou de l’offre de proies artificielles pour les prédateurs ?
Les résultats varient également selon les taxons d’insectes. Les Papillons sont en hausse sur les sites de lâchers de gibier de chasse, alors que les Coléoptères sont en baisse. Les auteurs notent aucune significativité pour les Orthoptères et le groupe spécifique des Carabidés. L’effet négatif sur les Coléoptères provient certainement de la prédation directe par le gibier à plumes. Tandis qu’une bonne gestion des habitats relâcher du gibier favoriserait les papillons. Enfin l’étude montre des hausses d’abondance et richesse spécifique pour les communautés d’oiseaux des milieux forestiers et agricoles sur les sites de lâchers. Encore une fois probablement en rapport avec les efforts de gestion de ces habitats.
Faisans et Reptiles : un sujet chaud
De plus en plus de naturalistes accusent les lâchers de gibier à plume de détruire les populations de reptiles. Dans l’article de Madden et al. (2023), les reptiles ne semblent pas en déclin sur les aires de relâcher. Les auteurs notent même jusqu’à deux fois plus de de données sur ces sites, mais la tendance n’est pas significative. Mason et al. (2020) discutaient déjà du risque d’impact négatif des faisans et perdrix rouges sur les amphibiens et reptiles, tout en soulignant le manque de données disponibles. Dimond et al. (2013) avaient tenté une analyse ADN de fèces de faisans afin de rechercher la preuve de prédation de reptiles. Mais ils n’étaient pas parvenus à détecter de telles preuves. Cependant avec seulement 50 échantillons, il était difficile de tirer des conclusions définitives. En Wallonie, Graitson & Taymans (2022) avancent de nouvelles preuves. Les populations de lézards et serpents s’effondrent dans les zones de lâchers de faisans. Ce qui inquiète quant à la conservation de ces espèces menacées.
Conclusion
Les résultats de Madden et al. (2023) sont assez variables, complexes à discuter en une seule conclusion globale, et nécessiteraient des approfondissements supplémentaires. Ainsi, certaines corrélations n’ont pas de causalité clairement expliquée. Ni de conséquences assez explicites sur les habitats. Les auteurs se heurtent encore à beaucoup d’inconnues dans cette estimation à grande échelle du lâcher de gibier à plumes.
En France les lâchers de gibier de chasse fait tout autant polémique auprès des chasseurs comme des naturalistes. L’ONCFS estimait les tableaux de chasse à 3 millions de faisans, 2,3 millions de perdrix rouges et grises, 1,2 millions de canards colverts. La « chasse à la cocotte » interroge sur son impact écologique réel. Bien que l’étude de Madden et al. (2023) concerne l’Angleterre, ne doutons pas qu’elle ranimera aussi le débat chez nous.