Suivi de l’avifaune nicheuse dans les landes de Ploumanac’h

En accord avec la Maison du Littoral de Ploumanac’h (Côtes d’Armor), je réalise depuis 2016 un suivi des couples d’oiseaux nicheurs sur ce site naturel. Ce travail se base sur le protocole IKA (Ferry & Frochot, 1958). Il vise à mieux mieux connaître la dynamique de l’avifaune sur un site touristique très fréquenté (près de 800.000 visiteurs annuels).

Les quatre dernières années permettent de dresser un premier bilan de ce suivi saisonnier. En premier lieu, cet article reprend la méthodologie employée. Ensuite, nous présenterons quelques résultats intermédiaires. Enfin, cet article reviendra sur les enseignements actuels de ce suivi de l’avifaune.

Fauvette pitchou (Sylvia undata). Crédits photographiques : Guillaume Calu

Le protocole IKA

Le protocole retenu au cours de ces relevés suit l’estimation des indices kilométriques d’abondance (IKA). Cette méthode relative de dénombrement de l’avifaune nicheuse fut proposée par Ferry & Frochot (1958). Elle consiste à prospecter des parcours de 500 à 1500 mètres à vitesse lente mais régulière (1-2 km/h). L’observateur effectue des points d’écoute de quelques minutes tous les 20 mètres.

Chaque contact est noté en terme de couples nicheurs selon l’équivalence suivante :

  • un oiseau vu ou entendu criant : ½ couple
  • un mâle chantant : 1 couple
  • un oiseau apportant des matériaux de construction pour nidification : 1 couple
  • un nid occupé : 1 couple
  • un groupe familial (au moins un adulte + jeunes) : 1 couple

Pour chaque espèce, le nombre total de « couples » rapportés est divisé par la longueur du trajet prospecté exprimée en km. Le chiffre obtenu correspond à l’I.K.A. de cette espèce. Dans un souci de cohérence du suivi, l’observateur ignore les espèces côtières ou pélagiques. Ces oiseaux marins survolant le site ne nichent pas sur Ploumanac’h.

Méthodologie retenue

Trois parcours retenus pour le protocole IKA couvrent des zones de lande et chaos rocheux relativement homogènes. Un important trafic piétonnier caractérise ces parcous. Leur longueur moyenne est de 0,94 km. Ferry & Frochot recommandent d’effectuer plusieurs dénombrements durant la saison. Blondel (1975) note cependant que les dénombrements d’abondance des oiseaux nicheurs doivent s’effectuer en avril (nicheurs précoces) et juin (nicheurs tardifs), de préférence lors de passages répétés à l’aube ou au crépuscule. L’indice de contact étant plus élevé durant les premières heures après le lever du soleil, les prospections s’effectuent entre 7h30 et 10h du matin.

Nous retenons quatre espèces présentes comme bio-indicatrices de l’évolution actuelle des populations nicheuses. Deux espèces inféodées aux milieux de landes ou ouverts : la Fauvette pitchou (Sylvia undata) et la Linotte mélodieuse (Linaria cannabina) ; ainsi deux espèces généralistes : l’Accenteur mouchet (Prunella modularis) et le Troglodyte mignon (Troglodytes troglodytes). Le déclin national des populations d’oiseaux rapporte une baisse des effectifs d’espèces spécialistes au profit d’espèces généralistes (MNHN, 2018). La tendance est-elle la même pour l’avifaune des landes de Ploumanac’h ?

Réalisation annuelle des IKA

Les données collectées ces quatre dernières années montrent une tendance à la baisse mais non significative des populations nicheuses de Fauvette pitchou (R²=0,2) et de Linotte mélodieuse (R²=0,1). L’importante variation des effectifs nicheurs au cours des saisons successives incite cependant à prolonger le suivi sur les prochaines années afin de confirmer ces tendances.

L’Accenteur mouchet semble maintenir des effectifs relativement stables d’une année à l’autre. Le Troglodyte mignon, quant à lui, présente une hausse significative (R²=0,93) de ses effectifs nicheurs sur ses quatre dernières années. Prolonger le suivi de ces deux espèces indicatrices sur les prochaines saisons de reproduction permettra de mieux apprécier l’évolution des populations de ces deux oiseaux généralistes sur le site de Ploumanac’h.

Indices de diversité spécifiques des peuplements

Diversité de Shannon – indices d’équitabilité

Le calcul des indices suivants permet de mieux apprécier la diversité de Shannon (H’) et l’équitabilité de Piélou (E) pour chaque transect. La richesse spécifique (S) s’exprime dans ces résultats selon l’indicateur Hmax = log2(S). Les résultats montrent que la diversité et la richesse spécifique restent relativement stables d’une année à l’autre. L’équitabilité de Piélou ou distribution du nombre d’observations par espèce est comprise entre les valeurs limites 0,65 et 0,9. Ce qui indique que les espèces des peuplements étudiés tendent vers un équilibre d’abondance homogène.

Indice de diversité de Simpson

L’indice de diversité de Simpson permet d’exclure les observations rares et de se concentrer sur les espèces abondantes. Pour adapter cet indice aux valeurs obtenues en I.K.A., la formule retenue est la suivante :

D = 1 – λ = 1 – Σ(pi²)

Nos résultats montrent que l’indice de diversité reste globalement stable, malgré quelques fluctuations d’année en année. Pour le site du Ranolien, il augmente sensiblement depuis 2016. Ceci peut s’expliquer par les effectifs de Linotte mélodieuse (Linaria cannabina). Cette espèce capable de former de petits groupes familiaux plus ou moins importants.

Par conséquent, la présence de groupes de Linottes mélodieuses peut localement abaisser l’indice de diversité (effet de dominance). l’indice I.K.A. pour cet espèce est important sur le site du Ranolien en 2016 (23,3 % des contacts). Sa raréfaction lors des comptages de 2017 (2,5 % des contacts) et l’augmentation de la richesse spécifique contactée sur cette période montrent une augmentation de l’équitabilité de Simpson pour ce site. La dominance de la Linotte mélodieuse peut donc être responsable de ces variations.

Biodiversité et indice de Hill

Les indices de biodiversité découlent de l’indice de Hill converti (1 – Hill). Comme attendu pour le site du Ranolien, l’indice diminue entre 2016 et 2017 années (0,76 à 0,65) suite aux fluctuations d’effectifs des Linottes mélodieuses. Il semble désormais se stabiliser. La biodiversité aviaire varie considérablement au fil des années sur les stations des landes du Lapin et de Mezo Bras. Ces premiers résultats nécessitent des investigations supplémentaires afin de comprendre ces fluctuations.

Discussion

Les données recueillies au terme de ces quatre années de suivi permettent de présenter quelques premières analyses. Les résultats discutés ici laissent entrevoir un déclin des espèces spécialistes des milieux ouverts au profit d’espèces plus généralistes. Ces tendances évoquent l’érosion actuelle de la biodiversité aviaire, notée à l’échelle nationale.

Il n’est cependant pas encore possible de valider de manière significative cette évolution de l’avifaune locale. La comparaison de ces données avec le suivi d’autres espèces indicatrices (comme l’Engoulevent d’Europe) permettrait également de mieux appréhender l’état de santé de l’avifaune du site.

De même, d’autres données seront nécessaires afin d’identifier les différents facteurs responsables de cette évolution des populations. Le site enregistre une hausse de la fréquentation touristique depuis sa sur-médiatisation en 2015 (Village Préféré des Français). Cet événement peut également présenter une corrélation avec les tendances relevées sur ces quatre dernières années. Cependant, cette causalité ne peut être établie à l’aide des résultats présentés ci-dessus. L’aménagement du site afin de canaliser d’importants effectifs de visiteurs. Les parcelles de landes sont par conséquent épargnées d’un dérangement direct. Mais il n’est pas exclu que les espèces les moins anthropophiles subissent un stress lié à la forte fréquentation humaine. Mais en l’état actuel, les données collectées ne suffisent pas à valider cette hypothèse qui nécessiterait un protocole d’investigation spécifique.

Ces tendances peuvent correspondre à des fluctuations cycliques naturelles et locales des populations. Elles seront en conséquence indépendantes des pressions anthropiques menaçant actuellement la biodiversité à l’échelle nationale. La littérature scientifique note ainsi que les effectifs de Linotte mélodieuse peuvent localement fortement varier au cours des années. En l’état actuel de ce suivi ornithologique, seule une prolongation de cette investigation, accompagné d’études plus spécifiques et d’une analyse comparée des populations d’autres taxons faunistiques présents sur site permettrait d’envisager d’obtenir des éléments de réponse affinés.

Accenteur mouchet (Prunella modularis). Crédits photographiques : Guillaume Calu

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