La bioacoustique en ornithologie connaît un développement important depuis quelques années. A l’origine de cette explosion de données disponibles sur Xeno-Canto, la diffusion d’articles techniques permettant de concevoir à prix réduit ses propres paraboles et pièges à sons. En effet, il est possible de fabriquer son propre équipement acoustique à partir de pièces détachées et de récupération. Ces guides en ligne permettent ainsi de diviser par dix le prix d’achat ! La diffusion de ces informations techniques sur les groupes de discussion en ligne a donc largement contribué à démocratiser la bioacoustique.
Pour ma part, la découverte sur le terrain d’ornithologues utilisant des paraboles bioacoustiques m’a d’abord convaincu de l’utilité de cette approche. Je m’y suis alors progressivement initié, en commençant par la fabrication de ma propre parabole. J’ai ensuite réalisé quelques tests sur le terrain. Une session de calibration m’a ainsi permis d’enregistrer la Fauvette mélanocéphale, occasionnel rare en Auvergne !
Aujourd’hui, je progresse encore à mon rythme dans ce domaine. Je vous propose cependant de consulter sur ce cahier pratique une série de ressources utiles pour vous lancer à votre tour. Cet article fait suite à un précédent tutoriel entièrement remis à jour et enrichi au fil de mes progrès techniques.
Les bases physiques. Qu’est-ce que le son ?
Un son est une vibration rapide émise par un élément de l’environnement, vivant ou non-vivant. Entre cette source et l’outil d’écoute, cette vibration parcourt la distance en se répercutant à l’échelle microscopique de molécule en molécule. C’est la propagation du son. En absence de milieu matériel (comme le vide d’air) il ne peut y avoir propagation du son. L’onde sonore se propage donc uniquement dans des milieux physiques, sous la forme d’ondes longitudinales alors que la vibration est transmise à travers la matière.
L’onde sonore est similaire à une sorte de vague. Elle compresse les molécules du fluide comme une crête de vague. Elle est donc précédée d’une zone de raréfaction à l’image d’un creux entre deux vagues. De manière physique, la propagation du son est donc bien un phénomène ondulatoire avec une période, une amplitude, et donc une fréquence. Le timbre quant à lui est typique de la forme du signal périodique. Il est caractéristique de la source émettrice.
La vitesse du son dépend de la capacité du milieu à propager cette onde périodique. La température, la pression mais également la matière vont influer sur la célérité du son. Par exemple, si la vitesse du son dans l’air ambiant à 20°c vaut 340 m/s, elle est de 1500 m/s dans l’eau pour la même température.
Décrire un signal sonore
Comme nous l’avons vu, une onde sonore se caractérise par sa période, sa fréquence (inverse de la période) et son timbre. Rajoutons à cela l’amplitude de l’onde sonore, que nous interpréterons comme le volume. En bioacoustique aussi, bien comprendre ces notions s’avère essentiel afin de comprendre comment interpréter les signaux enregistrés.
L’analyse spectrale d’un signal sonore permet de décomposer ce signal afin d’étudier les caractéristiques du son enregistré. On obtient ainsi un spectre fréquentiel du signal. Un son « pur » correspond à un signal périodique de fréquence f (en Hertz Hz) sous forme de courbe sinusoïdale. Son analyse spectrale donne un seul pic de fréquence f et d’amplitude constante. En revanche, un son « composé » donnera un signal périodique non sinusoïdal plus complexe. L’analyse spectrale le décompose alors en une somme de signaux sinusoïdaux de fréquences différentes. On appelle fréquence fondamentale (f1) la fréquence la plus basse valeur (en Hz) parmi les signaux constitutifs du son composé. Mais tous les autres signaux ont des fréquences propres fn qui sont des multiples de la fréquence fondamentale (fn = n.f1). Ces fréquences multiples sont appelées harmoniques.
Analyser un spectrogramme en bioacoustique
Des logiciels comme Audacity vous proposent de réaliser une transformée de Fourier rapide (FFT) sur un intervalle déterminé afin de décrire l’évolution du spectre fréquentiel en fonction du temps d’enregistrement. Le sonogramme obtenu est un graphique en trois dimensions riche d’informations mais peu pratique. Les logiciels informatiques peuvent le convertir en spectrogramme à deux dimensions.
Un spectrogramme est une représentation visuelle du son. Il propose une une représentation de la fréquence en fonction du temps d’enregistrement. L’intensité sonore figure également sous forme de graduations de couleurs. Le spectrogramme est une visualisation importante en bioacoustique. En effet, il va permettre d’obtenir des « signatures » caractéristiques des espèces recherchées.
Le Pouillot à grands sourcils (Phylloscopus inornatus) est un passereau facilement identifiable à son cri de contact caractéristique. Le sonogramme nous permet ainsi de le reconnaître tout aussi aisément sur des enregistrements terrain.
Choix et réglage de l’enregistreur H4N Pro
J’ai opté pour ce modèle professionnel qui dispose d’un bon rapport qualité/prix. Voici également quelques unes de ses caractéristiques techniques : Fréquence d’échantillonnage : 44,1/48/96 kHz. Gain d’entrée : -16 dB à +43 dB (entrée asymétrique) -30 dB à +32 dB. Microphones électrostatiques unidirectionnels Sensibilité : -45 dB/1 Pa at 1 kHz Gain d’entrée : -16 dB à +51 dB Pression acoustique maximale en entrée : 140 dB SPL.
Son poids est également pratique : 294 g seulement. L’alimentation se fait cependant par piles AA et se présente assez gourmande en mode Stéréo. Notez ainsi environ 5 heures d’autonomie avec des piles alcalines. Mais vous pouvez monter à 7,5 heures avec des batteries NiMH. Un mode Stamina permet alors de prolonger significativement l’autonomie de l’enregistreur.
Après quelques essais terrain, j’utilise désormais les réglages suivants :
- Mode Stamina : permet d’économiser de l’énergie lors de l’alimentation à piles.
- Activer le filtre passe-haut (équivalent du filtrage coupe-bas) à la p.66 du manuel.
- Format d’enregistrement : .wav (PCM) et réglage 48 kHz / 24 bits (p. 49).
- Ne pas régler la sensibilité du microphone au maximum !
- Enregistrement en mode stéréo.
- Connecter le microphone externe avant de mettre sous tension. Pas besoin d’option microphone externe, il est reconnu automatiquement.
- Option de « pre-recording » (pré-enregistrement) dans Menu > REC > PreREC (p. 65).
- File MP3 Encode : permet de convertir les fichiers .wav en fichiers .mp3 (p. 111).
Fabrication de la parabole bioacoustique
Ma première parabole bioacoustique est un modèle assez petit, qui utilise d’ailleurs un jouet d’enfant pour base. Elle est cependant dotée de microphone stéréo EM272 Omni module (coût : 71,69 €) commandés chez FEL Communications Ltd. Le microphone mono du jouet initial n’apporte en effet aucun intérêt et il est très facile de le retirer.
Mon idée initiale consiste à transformer un jouet d’espionage pour enfants qui présente déjà une hampe et une parabole. L’ensemble sera limité en performances, mais assez pratiques pour l’enregistrement en billebaude sur le terrain. Coût du jouet : 24,9 €.
J’ai donc commencé par démonter le jouet pour en extraire les composants inutiles. Comme vous pouvez le voir, le circuit électrique et le montage du jouet sont pour le moins rudimentaires ! Je ne l’ai pas testé avant bricolage, mais inutile de conserver cette électronique.
Sur le jouet, la capsule mono est orientée face à la prise de son. Cependant, les paraboles audio ont un point focale (comme en optique) permettant de récupérer facilement les ondes sonores amplifiés. Le principe physique est très bien résumé sur ce billet de blog. Il faut ensuite positionner correctement les capsules stéréo. Pour y parvenir, je vous propose la méthode de calcul ci-dessous.
Le principe de la parabole acoustique
Si bon nombre de bioacousticiens utilisent microphone canon pour les enregistrements, d’autres lui préfèrent un microphone monté sur une parabole. En effet, un microphone parabolique amplifie le son en concentrant les ondes sonores sur un point focal. De plus, il est beaucoup plus directionnel. Cependant, un microphone acoustique est peu maniable et souvent très cher. Jusqu’à récemment, les prix des kits du commerce démarraient autour de 1000€ (microphone stéréo). Le développement de tutoriels a fort heureusement permis d’abaisser d’au moins dix fois le prix d’investissement pour tout amateur suffisamment bricoleur.
Mais encore faut-il maîtriser quelques aspects mathématiques de la propagation des ondes ! Dans un cahier technique précédent, j’avais eu occasion d’assembler un microphone parabolique maison. Cependant, pour simplifier le guide technique, le point focal était estimé « au jugé ». Nous allons voir comment procéder pour le calculer efficacement.
Un point focal ou foyer F
La parabole peut se représenter comme une fonction du second degré d’équation y = ax² + bx + c . Le sommet S de la parabole est confondu avec l’origine O du graphique lorsque b = c = 0 . L’équation devient alors y = a.x² que l’on peut aussi écrire y = x² / 2.p avec p = p = 1/(2a) . Cette constante p est le paramètre de la parabole. Elle permet de retrouver la valeur de la constante a rapidement. En effet, si sur votre graphique pour un point P de la parabole (x = 8 ; y = 6,4). Alors y = x² / 2.p soit 6,4 = 8² / 2.p et donc 2.p = 8² / 6,4 . Ce qui nous donne au final p = 5 . Soit p = 1/(2a) et donc 2.a = 1/p ; a = 1/(2.p) = 1/10 et a = 0,1. L’équation du second degré de votre parabole est alors de y = 0,1.x² .
Le point F (0 ; p/2) est le foyer de la parabole et la directrice est la droite y = − p / 2. Comment procéder ? Facile, maintenant que vous connaissez le paramètre p de votre parabole (dans l’exemple précédent, p = 5) alors il suffit de placer un point sur votre schéma avec les coordonnées de F (0 ; p/2). Dans cet exemple, nous avons donc un foyer pour cette parabole au point F (0 ; 2,5). Il suffira de mesurer cette distance OF afin de positionner les microphones stéréo correctement. Pour en savoir plus, je vous suggère de visiter ce lien web.
Application à la conception d’une parabole acoustique DIY
Vous avez acheté un dôme anti-écureuils en plastique pour vous confectionner une parabole acoustique. Vous cherchez alors à calculer la position du foyer de la parabole F. Commençons par prendre les mesures de votre dôme parabolique. Dans cet exemple, il mesure 26 cm de diamètre pour 8 cm de profondeur. Cela signifie que pour une équation de type y = a.x² vous avez deux points P1 (-13 ; 8) et P2 (13 ; 8). Nous allons prendre P2 pour plus de facilités. L’équation y = x² / 2.p soit 8 = 13² / 2.p et 2.p = 13² / 8 donc notre paramètre de parabole p = 10,56. Son équation parabolique vaut y = 4,7.10-2.x² et notre point de foyer F (0 ; p/2) est donc aux coordonnées xF = 0 cm et yF = 5,28 cm. Vous n’avez plus qu’à bricoler votre dôme anti-écureuils pour ajuster la position des micros !
Coût de la fabrication et limites du modèle
Le prix total de l’opération me revient ainsi à 96,59 €. Chez l’excellente boutique en ligne JAMA, une parabole vaut dans les 629-689 euros. Bien sûr, elles sont plus performantes, car disposant d’un diamètre de 50 cm avec fréquence critique de 300 Hz ! Car le petit diamètre de ma parabole, à peine 20 cm, me donne une fréquence critique autour de 800 Hz. En-dessous, les sons ne sont alors pas amplifiés par ma parabole. Ce qui est correct pour le chant des passereaux en général. Mais attention ! Avec ce modèle, on ne peut pas amplifier de Hiboux moyen-ducs par exemple, ni de Butor étoilé. Ma parabole est donc un modèle facile à transporter et relativement généraliste, mais tout de même limitée.
Comment utiliser un microphone ou une parabole sur le terrain
La parabole n’est pas la seule solution pour se lancer dans la bioacoustique ! Néanmoins, nous avons vu les avantages qu’elle permet en terme de captation d’ondes sonores. Cependant, certains ornithologues préfèrent avoir recours à d’autres catégories de microphones. Dans cette vidéo, le Cornell Labo of Ornithology vous propose de découvrir les options techniques qui s’offrent à vous.
Comprendre l’affichage du gain sur l’enregistreur
Pour terminer, il existe un autre problème, bien plus technique, qui concerne la notion d’impédance et de gain en électronique. Bien que ce billet n’aborde pas ces notions, il me semble nécessaire de rajouter une seconde vidéo complémentaire. Elle vous permettra, je l’espère, de mieux comprendre les affichages de votre enregistreur sans pour autant rentrer dans des considérations électroniques complexes.
L’impédance d’un microphone est l’opposition d’un circuit électrique au courant qui le traverse. Elle suit la loi d’Ohm, c’est pourquoi elle est mesurée en ohms (Ω). L’impédance nominale permet donc de connaître la résistance d’un casque ou d’un microphone au courant électrique qui l’alimente. Si l’impédance est élevée, il résiste plus à ce courant électrique. Si au contraire elle est faible, alors le circuit électrique laisse passer le courant plus facilement. Ces variations sont liées à la fabrication de chaque modèle.
Il faut cependant prendre en considération ces connaissances si vous voulez approfondir votre montage microphone – enregistreur – casque audio. Divers guides sont disponibles sur le web, notamment grâce aux supports techniques pour l’enregistrement de groupes de musique. Pour ma part, ce billet n’aborde pas ces détails. Néanmoins il peut se révéler utile de les aborder en vidéo avant de tester votre matériel sur le terrain !
Ressources bibliographiques et liens web pour aller plus loin :
- Les Oiseaux par le son – Stanislas Wroza
- Identifier les Oiseaux migrateurs par le son – Stanislas Wroza
- La migration nocturne par le son – Stanislas Wroza et Julien Rochefort
- Ouvrage pdf : Exploring Animal Behavior Through Sound: Volume 1 – [En ligne]
- Species : the sound approach – [En ligne]
- Xeno-Canto – [En ligne]
Une liste de mes threads bioacoustique publiés sur twitter :
Ce cahier technique est d’abord publié sous forme de threads sur twitter. Vous pouvez retrouver l’ensemble de ces discussions de bioacoustique ci-dessous.