Surprises génomiques chez les Puffins méditerranéens

Le séquençage du génome du Puffin des Baléares (Puffinus mauretanicus) nous livre de précieuses informations sur la conservation de l’espèce. Les puffins sont des oiseaux pélagiques, fascinants de par leur mode de vie, mais menacés par nos activités humaines. Le puffin des Baléares est un oiseau pélagique, nicheur endémique des îles Baléares. En France, l’espèce peut s’observer errant depuis la Manche jusqu’à la Méditerranée vers la fin de l’été. Répertorié en danger critique d’extinction sur la Liste rouge UICN, sa disparition serait même prévue d’ici 2070 selon certains experts.

Mais pour autant, est-on bien certains que le Puffin des Baléares soit une espèce à part entière ? D’autres travaux prépubliés tendent à remettre en question l’élévation des deux sous-espèces mauretanicus et yelkouan du Puffin de Méditerranée en espèces à part entière, voici une vingtaine d’années. De quoi rouvrir le débat ornithologique, dans ce cas aussi à partir d’analyses génomiques poussées !

Puffin des Baléares
Puffin des Baléares. Crédits photographiques : Guillaume Calu

Un oiseau marin menacé

En effet, sa population subit un déclin annuel rapide de 7,4 à 14 %. Le Puffin des Baléares est victime de la pêche à la palangre qui n’épargne pas les oiseaux pélagiques, et dont l’impact sur le Puffin des Baléares n’est désormais plus soutenable (Genovart et al., 2016). Mais les espèces invasives comme les rats et les chats domestiques et les genettes prélèvent aussi un lourd tribut sur les colonies de nidification. En moyenne, ces attaques concernent 38% des couples nicheurs et réduisent en conséquence le succès reproductif annuel (Matas, 2022).

Les ornithologues estiment la population nicheuse dans l’archipel des Baléares à 3200 couples maximum, pour un total d’oiseaux migrateurs dénombrés de 30.000 individus. Le pourcentage d’oiseaux nicheurs est donc particulièrement faible et handicape la dynamique de ces populations (Arroyo et al., 2014). Sur le plan génétique, les populations présentent une faible diversité génétique et un fort coefficient de consanguinité. Ce qui n’améliore pas les chances de conservation de l’espèce (Genovart et al., 2012). A tel point que Genovart et al. (2016) prédisent une extinction d’ici 61 ans (moyenne statistique). Soit en d’autres termes, d’ici l’horizon 2070 ! Le compte à rebours aurait-il déjà commencé ?

Historique de la taxonomie des puffins méditerranéens de taille moyenne

La taxonomie des Puffins a beaucoup évolué par le passé. Le groupe initial des Puffins de taille moyenne était placé initialement dans l’espèce P. puffinus (Mathews, 1934). Puis sur la base de critères morphologiques et de vocalisations, séparé en deux espèces : le Puffin des Anglais (P. puffinus) et le Puffin de Méditerranée (P. yelkouan). (Bourne et al., 1988 ; Bretagnolle, 1992). Le Puffin de Méditerranée incluant les deux sous-espèces mauretanicus et yelkouan, la comparaison des séquences de leurs cytochromes b conduisit à les hausser elles aussi au statut d’espèces ! (Heidrich et al., 1998, Sangster et al., 2002).

Existe-t-il véritablement deux espèces de Puffins méditerranéens ?

Mais voilà qu’une étude génomique (Obiol et al., 2022) met en doute cette élévation récente au rang d’espèces. Ces chercheurs espagnols utilisent une méthode assez complexe d’analyse comparative de génomes appelée ddRADseq (double Restriction‐site Associated DNA sequencing). Elle consiste à digérer le génome avec des enzymes de restriction, puis à rajouter des adaptateurs compatibles avec les sites de restriction. Enfin, les fragments sont amplifiés par PCR en utilisant des amorces spécifiques aux adaptateurs. Les séquences amplifiées sont séquencées puis analysées. Grâce à cette méthode, les chercheurs ont comparé des fragments de génomes de différentes espèces et sous-espèces de Puffins. Ils ont pu ainsi réinterrogé la phylogénie du genre Puffinus sp. Et ils en concluent que la taxonomie actuelle ne correspond pas à leurs données génomiques ! Le Puffin des Baléares et le Puffin yelkouan ne seraient alors plus des espèces à part entière.

Pour les chercheurs espagnols, il est cependant possible que nous soyons à des stades précoces de spéciation par isolement géographique chez Puffinus yelkouan – le Puffin de Méditerranée. D’ailleurs, Genovart et al. (2012) avaient trouvé des indices génétiques d’hybridation entre les deux taxons sur l’île de Minorque aux Baléares, archipel servant d’unique lieu de reproduction pour Puffinus (p. ?) mauretanicus. La découverte avait soulevé quelques inquiétudes quant à la conservation des deux espèces présumées. Pour autant, serait-ce au contraire la preuve que le mécanisme de spéciation reste encore précoce ?

Séquencer pour mieux conserver

Dans ce contexte, le séquençage du génome du Puffin des Baléares (Cuevas-Caballé et al., 2022) permet aussi de retracer l’histoire génétique de l’espèce, et notamment d’étudier le taux d’hétérogénéité. Les chercheurs disposaient ainsi de prélèvements chez trois individus : un mâle adulte, un adulte non sexé et un poussin. A partir de ces divers échantillons et leur séquençage génétique, ils ont pu bâtir un modèle bio-informatique de génome hybride propre au Puffin des Baléares.

Et surprise, l’hétérogénéité est bien plus forte qu’attendue ! Alors que la bibliographie et son statut UICN en danger critique d’extinction pouvaient laisser à supposer que l’espèce serait aussi en déclin de diversité génétique. Est-ce à dire que le déclin démographique est encore trop récent pour influencer la diversité génétique de l’espèce ? Rappelons que les Baléares accueillaient probablement plus de 30.000 couples nicheurs avant l’arrivée des premiers colons humains. Hélas, dès 2500 B.C. les colons ont aussi exploité les colonies d’oiseaux marins (Ramis, 2016).

Grâce à la méthode MSMC (Multiple Sequentially Markovian Coalescent) qui permet littéralement d’explorer l’histoire démographique d’une population (Schiffels & Wang, 2020), les auteurs vont même encore plus loin dans l’histoire génétique de l’espèce. Le Puffin des Baléares connaît une expansion voici un million d’années jusqu’à des populations élevées. Puis un rapide déclin entre – 150.000 anset – 10.000 ans. Cela s’expliquerait par glaciation de Würm : le retrait des traits de côte fut défavorable pour l’espèce, qui en garderait le « souvenir » dans son génome.

Puffin des Baléares. Crédits photographiques : Guillaume Calu

Une lueur d’espoir pour les Puffins des Baléares

Le Puffin des Baléares présente aussi des adaptations génétiques pertinentes à son mode de vie pélagique. Pas moins de 20 gènes favorisent sa maîtrise du milieu marin. Ils expriment des phénotypes améliorant sensiblement son odorat pour la recherche de sa nourriture. Mais ces gènes sont aussi impliqués dans les glandes à sel, une vision améliorée, ou encore la régulation de sa dépense énergétique.

Enfin, l’hétérogénéité génétique est bin meilleure qu’attendue. Ce qui laisse de plus grandes chances de survie pour l’espèce. Mais d’autres menaces de conservation menacent encore sa survie. Aussi ces travaux de génomique, aussi encourageants soient-ils, ne dispensent nullement de renforcer les mesures de conservation. C’est aussi le vœu des auteurs, qui espèrent contribuer à améliorer les futurs plans de gestion l’espèce grâce à ces connaissances nouvelles. Un peu d’espoir en cette période de déclin de la biodiversité, ça ne fait pas de mal.

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