Et si l’ampleur du déclin actuel des Insectes était sous-évaluée ? Loin d’être une réflexion exagérée, l’article de Marion Desquilbet (Ecole d’Economie de Toulouse / Inrae) et Laurence Gaume (Ecologue au CNRS / Université de Montpellier) paru dans la revue Peer Community Journal pose un constat préoccupant. Les données en écologie des populations comportent beaucoup trop d’erreurs pour fournir un matériel d’étude adéquate face à la crise de la biodiversité entomologique actuelle. Il est grand temps, selon l’expression de François Massol, de « nettoyer les écuries d’Augias de l’écologie » !
Les biais de la base de données InsectChange
Cette étude se concentre sur la base de données InsectChange, un outil qui référence en ligne diverses dynamiques de populations d’Insectes suivies à travers le monde. Cette ressource brute est utilisée par de nombreux chercheurs pour suivre les tendances entomologiques actuelles, et notamment leur inquiétant déclin.
Ce fut notamment la démarche suivie par Klink et al. (2020) dans une méta-analyse de la revue Science, qui concluait que la diminution des populations d’Insectes terrestres était modérée (-9 %) alors que les populations d’Insectes aquatiques augmentaient (+11 %). L’étude de Klink et al. (2020) avait fait une forte impression auprès des écologues et entomologistes, notamment en raison des 166 études à long terme prises en compte (suivis d’abondances décennaux). Mais ses résultats lui ont également valu de nombreuses critiques !
En effet, leur méta-analyse ne reflète pas vraiment les multiples alarmes lancées par les écologues en charge du suivi de populations aquatiques locales, aussi la question d’un biais méthodologique s’est rapidement posée dans l’esprit des deux chercheuses. Dans un commentaire publié par la revue Science, Desquilbert et al. (2020) avaient déjà montré que sur les 166 études suivies par Klink et al. (2020), apparaissent des problèmes dans le traitement des données de 113 d’entre elles.
Ces erreurs remettent en cause les conclusions de Klink et al. (2020). Les corrections a minima apportées par les auteurs ne satisfont pas nos deux chercheuses. Elles se sont donc penchées sur la base de données InsectChange sur laquelle s’appuient les auteurs. Et leurs résultats sont encore plus ahurissants ! Les jeux de données issus de la base InsectChange comprennent pas moins de 500 erreurs différentes ! Problèmes de standardisation, biais de comptage, déficits d’information, incohérences …
Une sous-évaluation des facteurs de déclin anthropiques ?
Dans leur méta-analyse, Klink et al. (2020) écartaient l’agriculture intensive comme facteur de déclin des Insectes. Mais ils utilisaient pour cela des données géographiques erronées, qui surestiment la couverture agricole et faussent en conséquence leur appréciation ! InsectChange ne permet donc pas d’étudier correctement les causalité anthropogéniques telles que l’artificialisation des habitats ou l’agriculture intensive. Or une étude s’appuyant en l’état sur la base de données InsectChange pourrait être amenée à écarter ces facteurs. Ce qui mènerait à faussement disculper l’agriculture intensive (pesticides, engrais …) et l’artificialisation des habitats du déclin des Insectes !
La publication de Gaume & Desquilbet (2024) nous rappelle qu’un travail de vérification minutieux s’impose, dans une démarche transparente et indépendante. Il faut que ces ressources indispensables au suivi de la crise de la biodiversité soient rigoureuses et fiables ! Une conclusion en écho avec la recommandation que François Massol fait de leur travail dans Peer Community in Ecology. Sans bases de données solides, indépendantes et fiables, comment renseigner efficacement du déclin de la biodiversité et des enjeux de conservation actuels ?