Le déclin des Insectes : évidences et état de l’art

La crise de la biodiversité a pour origine l’impact des activités humaines sur la Biosphère. L’accumulation de données naturalistes sur les dernières décennies met également en évidence un déclin hétérogène des populations d’Insectes. Alors que les preuves s’accumulent, diverses voix sceptiques remettent en cause les données scientifiques. Face à ce déni, il est préférable de mettre en évidence de déclin et de rapporter l’état de l’art dans ce domaine de recherche.

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Le déclin des Insectes n’est peut-être que la partie émergeante du déclin des Invertébrés

Hallemann et al. (2017) et le déclin de la biomasse d’Insectes volants

Pour près d’un million d’espèces d’Insectes décrites, il en reste quatre autres millions à découvrir. Face à ces données étourdissantes de richesse spécifique de cette classe d’Invertébrés, le lecteur peut s’imaginer que ce taxon prolifique n’est guère menacé. Et pourtant, vous avez peut-être souvenir de la publication de Hallmann et al. (2017) concernant la biomasse d’Insectes dans les aires protégées allemandes. Cette étude fracassant rapportait en 27 années de suivi un déclin saisonnier de 76% de la biomasse, et jusqu’à 82% sur les relevés estivaux. Cette publication avait fait l’objet d’une large couverture médiatique. Les commentaires sceptiques furent particulièrement virulents. Dave Goulson, co-auteur de cette étude, revenait dans son livre « Silent Earth » sur la genèse de cette publication et les critiques qui accompagnèrent sa parution.

Comme divers biologistes l’ont avancé, la biomasse totale collectée n’est pas un critère des plus robustes pour suivre des populations d’Insectes. En effet, l’étude manque de comparaisons relatives entre la biomasse, l’abondance et la richesse spécifique des Insectes collectés. Si par exemple, les proportions de tailles d’Insectes varient d’une année à l’autre, les résultats seront-ils faussés ? De plus, les sites naturels ne sont pas suivis avec la même fréquence durant ces 27 années, certains ne furent visités qu’une seule fois ! De quoi laisser dubitatifs certains scientifiques quant à la pertinence des analyses statistiques relayées par Hallmann et al. (2017). Face à cette première étude, il est donc primordial de vérifier si d’autres travaux mettent en évidence une évolution à la baisse des populations d’Insectes.

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Déclin de la biomasse journalière d’Insectes volants collectés dans les réserves naturelles allemandes, Hallmann et al. (2017)

Le déclin des Insectes est un constat scientifique reproduit dans la littérature

Pourtant, l’étude de Hallmann et al. (2017) aussi perfectible soit-elle n’est pas la seule à poser le même constat. Elle s’inscrit dans une cohorte de publications corroborant ses conclusions pessimistes : l’abondance des populations d’Insectes connaît un déclin hétérogène à l’échelle mondiale.

En 2019, Hallmann et al. ont réitéré leurs travaux en suivant cette fois-ci l’évolution de l’abondance d’Insectes dans deux réserves naturelles du Pays-Bas. Ils constatent à nouveau une baisse d’abondance, hétérogène selon les taxons. Strien et al. (2019) notent quant à eux un déclin de la richesse spécifique en Lépidoptères diurnes néerlandais. Leur approche statistique montre une baisse de 84% des indicateurs de richesse spécifique pour la période 1890–2017. Le constat ne se limite à aux Pays-Bas. Wepprich et al. (2019) rapportent aussi que dans l’Ohio, l’abondance totale en papillons décline au rythme de 2 % / an. L’iconique papillon Monarque (Danaus plexippus) témoigne aussi de ce déclin. En une décennie, les populations migratrices Nord-Américaines du Monarque ont chuté de près de 80% (Semmens et al., 2016).

Le déclin est cependant hétérogène suivant les taxons étudiés (Dirzo et al., 2014) et peut varier selon les aires géographiques suivies. Shortall et al. (2009) montrent ainsi qu’en Angleterre, ce déclin concerne en seul site sur les quatre suivis durant l’étude. Sont mis en cause pour expliquer cette disparité les fortes hétérogénéités de facteurs biotiques et abiotiques influençant négativement les populations d’Insectes. Les conclusions de Hallmann et al. (2017) étaient critiquables sur le plan méthodologique, mais le déclin des populations d’Insectes demeure un constat reproduit dans la littérature scientifique.

La polémique Sánchez-Bayo et al. (2019) : des chiffres-clés frappants mais s’appuyant sur des biais expérimentaux

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Le site web Statista reprend dans une infographie les résultats de Sánchez-Bayo et al. (2019) : « Notre travail révèle que le taux de déclin dramatique pourrait conduire à l’extinction de 40% des espèces d’Insectes dans les prochaines décennies« . Les conclusions terrifiantes de Sánchez-Bayo et al. (2019) marquent alors la dispute scientifique entre deux camps : les tenants d’un déclin catastrophiques, et ceux partisans d’une situation beaucoup plus nuancée. Thomas et al. (2019) ouvrent le feu avec leur article équivoque : “Insectageddon”: A call for more robust data and rigorous analyses.

Pour Thomas et al. (2019), le déclins de populations d’Insectes est une réalité, mais cette baisse hétérogène est peut-être quelque peu surinterprétée par des protocoles biaisés et des méthodes d’analyse manquant de robustesse. Par exemple, les fluctuations d’abondance sont issues d’analyses sur de courts intervalles, mais sans réelle idée concernant les fluctuations à l’échelle d’un siècle entier. Leurs interprétations sont-elles alors significatives ? De nouveau revient le problème des données interprétées en biomasse, faute d’information sur les richesses spécifiques. Pour Thomas et al. (2019), ces points cités affaiblissent les analyses et conclusions de Sánchez-Bayo et al. (2019).

La polémique méthodologique de Klink et al. (2020) ne remet pas en cause le déclin des Insectes

Face au déclin hétérogène des Insectes, il faut impérativement provoquer une prise de conscience collective. Le grand public doit faire ainsi peser son opinion sur la prise de décision politique. Ce levier peut mener à combattre promptement la crise de la biodiversité. Mais si les discussions pessimistes des études scientifiques peuvent provoquer des manchettes de presse fracassantes, tout manque de robustesse méthodologique pourrait s’avérer contre-productif en attisant la critique sceptique. Or il est primordial d’agir rapidement face à cette crise écologique (Forister et al., 2019) !

Prenons l’exemple de la méta-analyse de Klink et al. (2020a), parue dans la revue Science, et qui montre une hétérogénéité entre déclin des Insectes terrestres (-9% / décennie) et hausse des Insectes aquatiques (+11 % / décennie). Cette méta-analyse a fait couler beaucoup d’encre auprès des entomologistes, à tel point que Science a publié une critique argumentée décortiquant au peigne fin les 166 études prises en compte dans la méta-analyse. Or il existe des erreurs de traitement de l’information pour pas moins de 113 études. Le commentaire de Desquilbet et al. (2020) est d’ailleurs bien tranché : « Nous en appelons à une méthodologie plus rigoureuse appliquée aux méta-analyses des données écologiques  » . Gaume & Desquilbet (2024) ont depuis montré que la base de données InsectChange sur laquelle s’appuient Klink et al. (2020a) comporte de trop nombreuses erreurs (standardisation, biais de comptage, déficits d’information, incohérences …). Ces imprécisions mènent à sous-évaluer la crise entomologique actuelle.

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Les erreurs de la base de données InsectChange (Gaume & Desquilbet, 2024)
Une base de donnée biaisée

L’affaire a même fait l’objet d’un article du CNRS qui conclue : « Si la science minimise à tort la crise de la biodiversité, il ne sera pas possible d’espérer mettre en place des politiques protégeant les espèces à la hauteur des pressions qu’elles subissent« . Klink et al. (2020b) ont par la suite publié un erratum a minima de leur article. Leurs estimations corrigées accordent désormais un déclin moyen pour les Insectes terrestres de – 10,56 % / décennie, et une hausse des Insectes aquatiques de +12,24 % / décennie. Les corrections de Klink et al. (2020b) sont insuffisantes et soulignent que le déclin des Insectes est sous-évalué. Pire encore, les erreurs actuelles dans les données InsectChange ne permettent pas d’étudier correctement des causalité anthropogéniques évidentes telles que l’artificialisation des habitats ou l’agriculture. Mais il est déjà trop tard, et les commentateurs dénialistes de la crise de la biodiversité se sont déjà engouffrés dans la brèche.

Lister & Garcia (2018) : un garde-fou face à la critique dénialiste du déclin des populations d’Insectes

La science se construit au fil de débats entre chercheurs. Mais suivis depuis l’extérieur, ces polémiques ont un effet pervers sur la compréhension du débat. Dans le cas du déclin des Insectes, elles laissent croire que ce sujet de recherche encore soumis à incertitudes, et qu’il n’existe nul consensus à ce sujet. Ce sentiment sceptique est parfois même exacerbé par des critiques scientifiques injustifiées, comme celles émises contre la publication de Lister & Garcia (2018).

Lorsque ces deux auteurs montrent dans PNAS l’effondrement en cours en raison du réchauffement climatique d’une cascade trophique impliquant le déclin des Arthropodes et de leurs prédateurs, Willig et al. (2019) publient aussi dans les PNAS une lettre qui détricote complètement leurs conclusions. Seulement voilà, Lister & Garcia (2019) rétorquent fermement dans PNAS,et démontrent que les arguments de Willig et al. (2019) ne se tiennent pas.

La polémique autour de l’étude de Lister & Garcia est riche de deux enseignements. D’abord, la critique dénialiste ne tient pas face à l’évidence du déclin des populations d’Insectes. Ensuite, ces échanges de balles entre scientifiques n’ont de cesse de brouiller le message auprès du grand public. Un jour, les journaux titrent que Insectes déclinent. Le lendemain, le scoop est réfuté ! Pourtant, le constat de fond ne change pas : les populations subissent un déclin hétérogène selon les taxons, et d’origine multifactorielle.

Müller et al. (2023) : un facteur météorologique expliquant les résultats de Hallmann et al. (2017) ?

La science ne doit pas se résumer à une énumération dogmatique de savoirs, mais à une édification permanente. Face aux causes multifactorielles de déclin des Insectes, les questionnements actuels autour de l’article de Hallmann et al. (2017) cherchent comprendre comment ces différents facteurs ont pu jouer sur le déclin constaté de biomasse dans les aires protégées allemandes. C’est là qu’intervient l’étude de Müller et al. (2023). Ces chercheurs se sont intéressés aux perturbations météorologiques durant les 27 années de suivi entomologique pris en compte dans l’étude de Hallmann et al. (2017).

Pour ces chercheurs, il apparaît une corrélation majeure entre évolution des biomasses d’insectes et variables météorologiques. Ce résultat est intéressant, car ce facteur météorologique sur les populations d’insectes est sous-estimé dans les milieux tempérés. En effet, jusqu’à présent, l’influence météorologique était plus mise en évidence pour les écosystèmes tropicaux et leur entomofaune associée, comme le soulignaient Deutsch et al. (2008). Pour autant, il n’en demeure pas moins que changement climatique et impacts de l’agriculture sont deux facteurs importants remodelant les populations d’insectes à l’échelle mondiale. (Outhwaite et al., 2022).

Une situation complexe exacerbée par les changements climatiques globaux ?

Müller et al. (2023) ne réfutent pas le phénomène complexe et hétérogène de déclin des populations d’Insectes ; leur publication n’a donc pas pour objectif de rejeter cette crise de biodiversité. Mais il est à craindre que cet angle de lecture se retrouve dans la prose de certains « sceptiques ». Car comme le suggèrent Müller et al. (2023), cette corrélation majeure entre phénomènes météorologiques et dynamique des populations d’insectes en Allemagne durant ces 27 dernières années pourrait être relié au changement climatique anthropique !

Les phénomènes météorologiques extrêmes peuvent aussi perturber les populations d’insectes ; la réponse variable selon les espèces menant à des changements complexes dans leurs dynamiques actuelles. Certains ravageurs vont proliférer, par exemple. Ces phénomènes extrêmes sont de plus en plus fréquents, s’inscrivant dans un contexte de changement climatique d’origine anthropique. La publication de Müller et al. (2023) le rappelle fort bien. Et si le déclin des insectes pendant 27 ans dans les aires protégées allemandes n’était qu’un avant goût de la corrélation entre réchauffement climatique, phénomènes météorologiques extrêmes et populations d’insectes ? Pas de quoi se réjouir au final.

Le déclin des populations d’Insectes est une évidence : ses causes sont clairement anthropiques

Dans ce billet, nous avons souligné que les Insectes connaissent un déclin hétérogène à l’échelle mondiale. Cette affirmation est désormais une évidence scientifique suffisamment étayée et ouverte aux critiques méthodologiques. Mais ne peut souffrir aucune réfutation si ce n’est par le biais du dénialisme.

Les causes de ce déclin sont multiples. Leur sommation ayant de facto un effet dévastateur sur la résilience des populations d’Insectes. Ce présent billet n’a pas pour objectif d’explorer tous les facteurs responsables de ce déclin. Cependant, Wagner et al. (2021) en font la synthèse dans un article paru dans les PNAS. Que ce soit directement ou indirectement, l’activité humaine prédomine dans ces facteurs de déclin. Notre responsabilité ne fait donc aucun doute concernant la crise biologique du déclin des populations d’Insectes.

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Facteurs anthropiques de déclin des Insectes. Wagner et al. (2021)

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