L’agriculture mondiale emploie massivement des néonicotinoïdes, insecticides à effets neurotoxiques. Mis en cause dans la dégradation actuelle de la biodiversité, ils seraient ainsi responsables de l’effondrement des populations d’insectes pollinisateurs. Ces substances sont également suspectées d’empoisonner les oiseaux granivores [1], notamment les espèces des milieux agricoles susceptibles de consommer des semences enrobées d’insecticide. Les études écotoxicologiques réalisées sur ces molécules sont donc indispensables afin de mieux comprendre leurs impacts sur la biodiversité.
Une équipe de chercheurs canadiens a récemment souligné, pour la première fois dans la littérature scientifique, les effets négatifs de la consommation de ces pesticides par des oiseaux granivores. Margaret Eng et ses collaborateurs rapportent ainsi que la consommation d’insecticides par des Bruants à couronne blanche (Zonotrichia leucophrys) a de sérieuses conséquences sur leur physiologie et leur comportement migratoire. Deux articles récents synthétisent leurs travaux, l’un publié en 2017 dans la revue Scientific Reports, et l’autre cette année dans la revue Science.
Mise en évidence de la toxicité des enrobages
Le premier article d’abord publié se proposait d’étudier les effets écotoxicologiques de pesticides après gavages journaliers. Des Bruants à couronne blanche furent capturés durant la migration pré-nuptiale et nourris pendant trois jours avec des graines enrobées d’imidaclopride (un néonicotinoïde) ou de chlorpyrifos (un pesticide organophosphate). Pour chaque insecticide testé, les Bruants furent séparés en trois groupes distincts : le premier groupe contrôle ne reçut pas pesticides, le second groupe reçut une dose modérée (10% de la dose létale médiane ou DL50) et le troisième groupe une dose forte (25% DL50).
Les oiseaux témoin conservèrent une masse corporelle et une orientation migratoire correctes durant l’expérience. Les oiseaux ayant ingéré des pesticides montrèrent rapidement des signes de détérioration de leur état de santé. Ceux ayant reçu des graines enrobées d’imidaclopride présentaient une baisse de poids significative (-17% pour la dose modérée ; -25% pour la dose forte) et ne s’orientaient plus correctement. Ceux ayant absorbé du chlorpyrifos ne perdirent pas de poids mais se montrèrent désorientés en vol. Ces résultats soulignaient donc l’inquiétant effet délétère des enrobages de pesticides sur les oiseaux granivores. Cependant les doses administrées se basaient sur des teneurs écotoxicologiques comparées en laboratoire (dose létale médiale ou DL50, soit la dose létale pour la moitié d’une population d’oiseaux) et non sur les doses potentiellement absorbées par des oiseaux se nourrissant en plein champs.
Des effets néfastes sur la migration des bruants
Afin d’étudier les effets de l’ingestion de pesticides dans des conditions expérimentales plus proches de la réalité, Eng et ses collaborateurs proposent un nouveau protocole dans leur second article. Cette fois-ci, les Bruants à couronne blanche capturés sont gavés avec des doses d’imidaclopride réalistes vis à vis des teneurs ingérables en plein champs (1,2 à 3,9 mg / kg de masse corporelle) et leurs déplacements sont suivis par radiotélémétrie. Les oiseaux montrent alors un rapide déclin de leur masse corporelle (- 6% en quelques heures), séjournent plus longtemps sur place (3,5 jours de plus que les Bruants témoins) et cessent de s’alimenter correctement. Les effets intoxifiants des pesticides absorbés ont donc perturbé le comportement des bruants. L’exposition aux néonicotinoïdes épuise les réserves énergétiques de ces migrateurs. En conséquence, ils retardent leur vol migratoire et compromettent ainsi leurs chances de succès reproductif.
Les néonicotinoïdes menacent des populations d’oiseaux en déclin
Ce nouvel article est d’autant plus pertinent qu’il s’agit de la première étude expérimentale prouvant sur le terrain les effets sublétaux d’un empoisonnement aux pesticides d’oiseaux migrateurs. De plus, les néonicotinoides sont responsables d’effets néfastes sur les insectes pollinisateurs, et notamment les colonies d’abeilles. Mais pour la première fois, des preuves scientifiques démontrent que ces produits phytosanitaires perturbent sensiblement les chances de succès des oiseaux migrateurs.
En France, le programme STOC souligne que les populations d’oiseaux inféodés aux milieux agricoles sont en déclin. Les insecticides néonicotinoïdes, déjà décriés pour ses effets néfastes sur la biodiversité, perturbent aussi les migrations saisonnières. Plus que jamais, le modèle agricole doit remettre en cause son emploi massif et déraisonné de pesticides de synthèse.
Bibliographie :
[1] Lopez-Antia, A.; Ortiz-Santaliestra, M. E.; Mougeot, F.; Mateo, R. (2013) Experimental exposure of red-legged partridges (Alectoris rufa) to seeds coated with imidacloprid, thiram and difenoconazole. Ecotoxicology 22, 125– 138, DOI: 10.1007/s10646-012-1009-x
[2] Eng, M.; Stutchbury, B. J. M.; Morrissey, C. A. (2017) Imidacloprid and chlorpyrifos insecticides impair migratory ability in a seed-eating songbird. Sci. Rep, 7, 15176, DOI: 10.1038/s41598-017-15446-x
[3] Margaret L. Eng, Bridget J. M. Stutchbury, Christy A. Morrissey. A neonicotinoid insecticide reduces fueling and delays migration in songbirds. Science, 2019 DOI10.1126/science.aaw9419.