Plaidoyer pour un moratoire sur la chasse aux alouettes des champs

Alouette des champs : faut-il réclamer un moratoire sur sa chasse ? Récemment, les Arrêtés ministériels sur sa chasse traditionnelle ont été retoqués auprès du Conseil d’Etat. Profitons de cette actualité pour étudier la question. Au terme de cet exposé, je reviendrai sur la pertinence d’un moratoire sur la chasse de ce gibier à plumes.

alouette des champs
Alouette des champs – Crédit photographique : Guillaume Calu

Une mise au point réglementaire

L’Alouette des champs (Alauda arvensis) est un Passereau de la famille des Alaudidés. En France, sa chasse est autorisée aussi bien au tir qu’en chasse traditionnelle. Jusqu’à récemment, s’appliquaient les Arrêtés du 17 août 1989 relatifs à la capture de l’Alouette des champs par matoles et pantes. Ces textes sont désormais abrogés. S’appliquent désormais les textes suivants :

  • Arrêté du 4 octobre 2022 relatif à la capture de l’alouette des champs à l’aide de matoles dans les départements des Landes et du Lot-et-Garonne [En ligne]
  • Arrêté du 4 octobre 2022 relatif à la capture de l’alouette des champs à l’aide de pantes dans les départements de la Gironde, des Landes, du Lot-et-Garonne et des Pyrénées-Atlantiques [En ligne]

Ces Arrêtés doivent cependant se mettre en conformité avec l’article 9 de la directive européenne « Oiseaux », qui stipule que ces méthodes de chasses traditionnelles représentent moins de 1 % de la mortalité annuelle de l’espèce. Avec ce pourcentage, le législateur rallie l’idée que ces prélèvements ne constituent pas une mortalité additive pour ces populations, mais qu’ils se substituent à une mortalité compensatoire. Mais pour autant, nous ne parlons ici que de prélèvements des chasses traditionnelles. Qu’en est-il une fois l’ensemble des types de chasse à l’Alouette pris en compte ?

Estimation des prélèvements cynégétiques

Les prélèvements de chasse ne sont pas tous connus avec certitude. Sauf pour les prélèvements de chasses traditionnelles fixés par les Arrêtés 2022 – 2023 : 98 702 individus (chasse de l’Alouette aux pantes) et 7798 (chasse de l’Alouette aux matoles).

Quant aux réalisations effectuées lors des chasses à tirs, la revue Faune Sauvage (n°310) évoque le prélèvement au fusil de 180 000 oiseaux pour la fameuse étude de référence sur la saison 2013 – 2014. A défaut de mieux, nous retiendrons donc ce chiffre.

Nous sommes donc en présence, pour les chiffres actuellement disponibles, à un total annuel de 286 500 individus prélevés.

Etat de conservation de l’Alouette des champs

Mais revenons à nos Alouettes, qu’en est-il des effectifs et du taux de mortalité annuel ? Nous allons avoir besoin de ces données ultérieurement pour développer notre exposé. Revenons pour cela sur différentes données rendues publiques sur le web (sources consultées : EBBA2, STOC, BirdLife).

Estimation de l’abondance des populations

L’Alouette des champs est classée LC et notée en déclin par l’UICN au niveau mondial comme européen. Ses effectifs sur le territoire de l’Union Européenne s’évaluent entre 88 700 000 et 158 000 000 individus. Notons cependant un déclin (-25%) en 13 ans.

En France, l’Alouette des champs se classe en catégorie LC selon l’UICN. La population française de nicheurs (2009-2012) s’estime entre 1 300 000 et 2 000 000 couples. La population est en déclin (-30%) sur la période 1989-2013 (Atlas des Oiseaux de France Métropolitaine, 2015).

Evolution de l’abondance de l’Alouette des champs en France (VigieNature)

Selon les dernières données du programme STOC, L’Alouette des champs poursuit son déclin (-22,6%). Vigie Nature résume les données STOC en parlant de -25 % en 18 ans. Le programme SHOC de suivi hivernal des oiseaux communs note également, dans ses premiers résultats, un déclin des effectifs hivernaux de l’Alouette des champs.

Taux de mortalité

Le taux de mortalité annuel de l’Alouette des champs serait de l’ordre de 59,1 % [54,1 % – 65,6 %] d’après les estimations fournies par les jeux de donnée des opérations de baguage entre 1985 et 2015. Cependant, les données sur l’abondance de l’espèce et sa mortalité naturelle sont souvent soumises à critiques sur leurs robustesses, comme le souligne cette note du GEOC de 2015.

La cause majeur de déclin de l’espèce demeure la dégradation des habitats : changements d’occupation et artificialisation, agriculture intensive. La chasse et la pollution sont considérés comme des facteurs secondaires mais tout de même significatifs (voir la notice pdf de birdlife.org). En effet, l’Alouette des champs requiert des paysages agricoles hétérogènes pour sa reproduction. Une étude allemande récente (Püttmanns et al., 2022) souligne l’impact positif d’un domaine vital diversement composé sur la saison de reproduction. Un constat qui n’est pas isolé, comme le montre cet autre document mettant aussi en valeur l’hétérogénéité des paysages agricoles dans le succès reproductif de l’Alouette des champs.

Impact cynégétique sur la conservation de l’espèce

Conserver un paysage agricole diversifié tout en favorisant les habitats semi-naturels a aussi un impact positif, ce qui au passage vient souligner l’importance de la conservation des jachères agricoles pour la conservation des espèces aviaires (Šálek et al., 2022). Comment la chasse peut-elle présenter, en tant que facteur mineur, un risque significatif d’impact négatif sur les populations d’Alouettes des champs ?

Nous avons vu le rôle crucial des paysages agricoles hétérogènes pour l’espèce. Nous avons également vu que les prélèvements de chasse se raisonnent autour de cette notion de mortalité compensatoire. Le seuil de 1% de mortalité annuelle (pour un taux de mortalité de 59,1 %) conditionne une chasse durable.

Nous avons également estimé que le nombre de prélèvements annuels à 286 500 individus. Ce total demeure un chiffre de référence pour cet article, et non une valeur moyennée des saisons de chasse passées. Respecte-t-il les 1% de mortalité annuelle ?

Modèle d’estimation de la population d’Alouettes des champs en automne

Pour estimer la population annuelle française d’Alouette des champs à l’automne, j’ai construit un rapide modèle mathématique. Mes taux statistiques de reproduction se réfèrent à la publication de Delius (2008). En moyenne, les Alouettes des champs pondent 2,7 couvées par an, pour une moyenne française de 3,75 œufs / couvée. Le succès d’envol des poussins serait de 50%. Nous utiliserons ces chiffres pour modéliser la dynamique d’une population automnale.

Mon modèle m’indique un total théorique de 6,58 à 10,12 millions de jeunes Alouettes à l’envol. Soit une population totale d’Alouettes des champs (d’après modèle) qui grimpe entre 9,18 et 14,12 millions d’individus à l’automne.

Si nous considérons que cette population automnale va être prélevée par la chasse, en considérant (ce qui est abusif) la population homogène sur l’ensemble de la France métropole, et en ignorant les flux migratoires, nous pouvons alors poursuivre. Ces simplifications demeurent une des limites de l’exercice, néanmoins en l’absence d’études approfondies sur l’apport des flux migratoires automnaux, nous ne pourrons faire mieux.

Modèle d’estimation de l’impact des prélèvements cynégétiques

Les prélèvements maximums des Arrêtés cadres 2022 – 2023 nous servent à calculer les taux de mortalité liés aux chasses traditionnelles. Ils sont à 0,09 % – 0,14 % de mortalité annuelle pour les matoles et 1,18 % – 1,82 % pour les pantes.

Rappelons que ce sont des valeurs de prélèvements maximaux, les réalisations pantes et matoles ayant été inférieures aux prélèvements reconduits dans les Arrêtés cadres. En effet, le taux de réalisation en 2020 tourne autour de 75,5 % des prélèvements maximums (voir les chiffres sur le lien suivant).

Concernant les prélèvements par chasse au fusil, cela donne 2,16 % – 3,32 % de la mortalité annuelle. Pour la chasse dans sa totalité maximale hypothétique, la mortalité annuelle est de 3,44 % -5,29 % de la population.

Interprétation de ces taux de mortalité annuelle

Forts de ces pourcentages, il serait tendant de se faire les remarques suivantes :

  • Les chasses aux pantes et matoles sont globalement compatibles avec la Directive Oiseaux.
  • La chasse au fusil ne l’est pas, car le taux de mortalité est supérieur à 1 %.

Seulement n’oublions pas que ces pratiques cynégétiques se somment forcément. D’où l’indice total de 3,44 % – 5,29 % de la mortalité annuelle ! Et à ce stade, il convient aussi de critiquer ce modeste modèle.

Car aussi sympathique que soit l’exercice de modélisation sur feuille de calcul OpenOffice. Mon modèle ignore tout de la dynamique saisonnière des populations. En d’autres termes, mes Alouettes ne restent pas forcément sur place de la fin de l’été jusqu’au printemps. En réalité, l’Alouette des champs a une stratégie de migration complexe, dite du « migrateur partiel ». Une partie seulement des individus de chaque population va migrer. Et ce pour diverses raisons physiologiques (Hegemann et al., 2015) trop complexes à prendre en compte dans notre modèle.

Car en définitive, nous manquons encore de données pour déterminer quelle proportion d’individus – autochtones ou migrateurs hivernants – prélèvent les chasses à l’Alouette des champs.

Pourquoi prendre position en faveur d’un moratoire ?

Au vu de l’interprétation ci-dessus, peut-on prendre position sur l’impact réel des prélèvements cynégétiques sur les effectifs d’Alouettes des champs ? Notre modèle propose un pourcentage de 3,44 % – 5,29 % de la mortalité annuelle associé aux actes de chasse. Ce qui est bien au-dessus des 1 % de mortalité compensatoire. La France respecte-t-elle vraiment l’Article 9 de la Directive Oiseaux concernant la chasse à l’Alouette des champs ?

Dans un contexte de déclin de l’espèce, est-il raisonnable de maintenir la chasse à l’Alouette en France ? Au regard des éléments de ce fil et dans l’attente de données complémentaires, je serais favorable à un moratoire. Le facteur cynégétique est globalement d’impact minoritaire. Mais il présente avoir des effets négatifs significatifs. En l’état actuel de conservation de la biodiversité, il est néfaste de cumuler plusieurs facteurs de déclin. Cette conclusion demeure cependant nuancée par le manque de données concernant les proportions d’oiseaux autochtones dans la population hivernante totale d’Alouettes des champs.

C’est pourquoi, tout en soulignant la nécessité de plus de travaux de recherches sur une approche systémique de la conservation de l’Alouette des champs, je propose qu’un moratoire de la chasse à l’Alouette des champs entre en vigueur en France.

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