La Perdrix bartavelle : oiseau menacé

« Et dans mes petits poings sanglants d’où pendaient quatre ailes dorées, je haussais vers le ciel la gloire de mon père en face du soleil couchant » . Dans la Gloire de mon père, Marcel Pagnol rendait hommage à la Perdrix bartavelle, oiseau mythique mais aujourd’hui en danger. Mais qu’en est-il exactement ? Cet article vous propose de revenir sur la biologie, l’écologie et la conservation de cette espèce.

Perdrix bartavelle
Perdrix bartavelle. Crédits : FokusNatur / Wikipedia

Présentation de l’espèce

Dans les Grands échassiers, Gallinacés & Râles d’Europe, Paul Géroudet nous relatait son observation en un claquement d’ailes de la Perdrix montagnarde. Au soleil de mai face aux glaciers dans la vallée de Bagnes, leur voix saccadées saluaient l’aube naissante. Voilà donc un tableau naturaliste bucolique de ce Galliforme de montagne. Cette grande perdrix (33-43 cm ; 460-770 g) est dotée d’une agilité surprenante, déboulant les pentes vertigineuses de montagne. Lorsqu’elle caccabe, son cri l’identifie aussitôt.

Galliforme de montagne bien plus difficile à voir qu’à entendre, Alectoris graeca dispose d’un plumage suffisamment harmonisé avec la rocaille de son milieu naturel pour échapper à l’attention. Une adaptation inévitable pour cet oiseau soumis à rude pression prédatrice. Sa stratégie est d’ailleurs assez simple : alertée au moindre bruit, elle se blottit immobile et silencieuse, espérant ainsi échapper à la vigilance du rapace ou du chasseur. D’ailleurs, la Bartavelle ne sort jamais bien loin de son abri providentiel. Contrainte à la fuite, elle s’y blottit autant que possible. Mais découverte, elle bondit de sa cachette pour une course à grandes enjambées, n’optant pour l’envol qu’en dernier recours. Son essor est brusque et bruyant, de courte distance et s’achève en vol plané.

Ecologie de l’espèce

En France, la perdrix bartavelle habite exclusivement le massif alpin (1500-2500 m d’altitude). Elle est présente dans les départements alpins de la Haute-Savoie jusqu’au Nord du Var. Dans les Préalpes, l’hybride naturel Perdrix bartavelle x rouge (Perdrix rouchassière) la remplace.

La Perdrix bartavelle est surtout herbivore. Elle consomme les pousses tendres au printemps, puis les graines et les baies en été. Les besoins énergétiques associés à la reproduction en feront aussi une insectivore : Araignées, Diptères, Orthoptères, et autres Invertébrés.

Migration et hivernage

En hiver, une forte proportion d’individus son migrateurs. Les aires de reproduction et d’hivernage ont beau être séparés de quelques kilomètres seulement, ces trajets ont pu être mis en évidence par radiopistage. Paul Géroudet décrivait déjà les déplacements des groupes familiaux en « compagnies », parlant de « transhumance » non sans clin d’œil pour expliquer les dénivelés de 1500 mètres d’altitude effectués par certains groupes entre les deux saisons.

Pour autant, la migration de la Perdrix bartavelle se résume à de l’erratisme autour de son site de reproduction, comme l’Atlas des Oiseaux de France Métropolitaine (2015) nous l’explique. Dans les Alpes françaises, les Perdrix bartavelles se dispersent en hiver, soit restent en haute montagne, soit se regroupent en compagnies familiales et descendent dans les vallées. Soit une présence une fourchette d’altitude allant de 800 à 2900 mètres ! Si certaines Bartavelles descendent jusqu’aux villages et hameaux de vallée en hiver, c’est que la mauvaise saison est particulièrement rude en altitude. Cette synanthropie n’est poussée que par la faim.

La saison de reproduction

Dès lors que l’hiver tire sur sa fin, en mars, les compagnies de Perdrix se disloquent. Les couples se forment, et les mâles caccabent pour marquer leurs territoires. Les batailles de mâles et poursuites de coqs derrière leurs poules sont fréquentes. Sitôt l’accouplement passé, la ponte a lieu au sol, vers mi-avril ou mai. Le nid à l’abri sous un arbrisseau ou de grosses touffes d’herbes compte 9-14 œufs. La densité des nicheurs varie, selon les effectifs, 1 à 14 couples/100 ha au printemps.

L’incubation dure 24 à 26 jours, menée par la femelle seule. Les poussins éclosent avec un duvet brun, qui leur assureront un camouflage nécessaire pour leur comportement nidifuge. Mais l’abri du nid restera un gage de sécurité face aux dangers de la prédation. D’après les travaux de l’ONCFS (un des ancêtres de l’OFB à l’époque !) dans les Alpes, les mâles couvent aussi des pontes lors de doubles couvées. Il s’agit d’un détail que Paul Géroudet ignorait. Au total, comptez entre 17-21 œufs en cas de double nidification du couple !

Le taux d’éclosion est de 88 %, et le succès reproducteur affiche un taux de réussite compris entre 51% et 61%. Principales causes d’échec, la prédation des œufs par les Mammifères carnivores. Au final, un tiers seulement des poussins éclos atteint l’âge de 2 mois. Les travaux de télémétrie ont permis d’estimer le taux de survie de la Bartavelle. Ce taux est de 0,33 [0,27-0,4] Quant à celui des juvéniles jusqu’à l’année suivante, il est de 0,28 [0,15-0,44]. On comprend mieux, à la lecture de ces chiffres, pourquoi l’espèce adopte une stratégie r !

Démographie de l’espèce

Face à ces chiffres à première vue peu encourageants pour la démographie de l’espèce, comment se porte la démographie de la Bartavelle ? La situation est variable. Sur le plan européen, l’espèce est en déclin modéré (48k à 70k couples). L’UICN la classe NT (quasi-menacée). Selon les données EBBA2, la Perdrix bartavelle a perdu de son territoire depuis les années 90, notamment en Italie et en Grèce. La situation semble légèrement plus favorable pour les habitats balkaniques de l’espèce.

En France, la situation est variable. Après une forte diminution entre les années 60-90, les effectifs ont connu des hausses comme des baisses. Encourageantes lors des bonnes périodes, désespérantes lors des déclins locaux. C’est pourquoi, si nous n’entrerons pas dans les détails démographiques des différents sites de suivi, nous noterons que la démographie de l’espèce en France est variable, ce explique son classement NT (quasi-menacée) par l’UICN.

Une espèce menacée

Or donc, quelles menaces pèsent sur l’espèce ? Si les succès reproducteurs varient autant, c’est tout d’abord en raison du facteur météorologique. Un hiver trop rigoureux, un printemps pluvieux néfaste à la couvée, et les effectifs diminuent en conséquence. A l’inverse, un hiver peu enneigé, un printemps précoce et un été sec pendant deux années de suite, et les effectifs des Bartavelles augmentent.

De plus, le réchauffement climatique pourrait avoir des effets sur le taux de reproduction de l’espèce (Canonne et al., 2022). Une hausse des températures hivernales l’améliore, mais l’augmentation des précipitations est néfaste à la reproduction de l’espèce. Dans un contexte de perturbations météorologiques liées au changement climatique, le bilan de reproduction de la Perdrix bartavelle risque d’être fortement fluctuant.

La dégradation des habitats demeure un facteur majeur de déclin de la Bartavelle, et notamment la déprise agricole en milieu montagnard. La fermeture des milieux entraîne une perte d’habitats de l’espèce. Les activités pastorales permettent de conserver une ouverture des milieux, mais quelles sont leurs impacts sur la reproduction de l’espèce ? Face aux troupeaux, les Bartavelles adoptent une stratégie d’évitement (ONCFS, 2018). La Bartavelle tire parti de la repousse des végétaux broutés. Il est donc nécessaire qu’un partage équitable de l’espace pâturé permette une cohabitation pacifique. Car comme toujours, un équilibre est à trouver entre déprise et pastoralisme intensif, ces deux extrêmes étant négatifs !

L’état sanitaire des populations de Bartavelles inquiète également. L’endoparasitisme intestinal par Ascaridia sp. notamment, ver nématode, ou encore les Spirures du gésier, Hétérakidés des caecums et autres Cestodes. Ces endoparasites peuvent être transmis par les troupeaux, notamment sur les zones de couchage des brebis qui attirent les Bartavelles (l’herbe en repousse étant tendre). Il existe des cycles d’abondance marqués par des excrétions d’œufs d’Ascaridia. Mais une bonne reproduction les années précédentes, associé à un printemps précoce, doux et humide, participent aux infestations des poules et affaiblissent donc le fitness des Bartavelles. Existe-t-il un lien multifactoriel négatif entre réchauffement climatique, pastoralisme et parasitisme ?

Perdrix bartavelle
Troupeau de pâturage dans le parc national des Écrins. Photo : LIFE PastorAlp / Wikimedia

Il faut rajouter aux facteurs anthropiques les activités touristiques et l’aménagement des infrastructures liées, notamment aux sports d’hiver. L’Observatoire des Galliformes de Montagne propose un décompte des mortalités accidentelles depuis 2020. A ce jour (2020), l’OGM dénombre 38 cas de collision de Perdrix bartavelle, impliquant 27 téléskis, 5 télésièges, 4 câbles de transport d’explosifs et 2 télécabines. Une situation toutefois localisée, puisqu’elle concerne 13 des 189 stations alpines. Les portions à risques sont portées à la connaissance des responsables des domaines skiables. Il faut ensuite que cette sensibilisation soit réellement suivie d’aménagements favorables !

Prédation, chasse et braconnage

Enfin, abordons la mortalité par prédation. Il faut à ce sujet distinguer la prédation associée aux prélèvements de la biocénose des écosystèmes (facteur majoritaire) et la prédation anthropique par activité de chasse (facteur minoritaire).

Quels sont les principaux prédateurs de la Perdrix bartavelle ? Si l’on en croit l’étude de l’ONCFS (2018), les adultes sont prédatés dans 60% des cas par les rapaces. Il s’agit surtout de l’Autour des palombes et de l’Aigle royal. Viennent ensuite le Faucon pèlerin et le Grand-duc capturant aussi régulièrement des Bartavelles. Enfin, il faut rajouter la prédation au sol des nichées et plus particulièrement les poules couveuses par divers Mammifères Carnivores (renards et Mustélidés).

Paul Géroudet, dans Grands échassiers, gallinacés et râles d’Europe, n’en blâme pas pour autant les prédateurs comme responsables du déclin de l’espèce qu’il constatait déjà de son temps. La faute n’en revient pas non plus à la chasse, selon lui « raisonnable, par ailleurs difficile, ne serait pas plus néfaste en principe« . Pour le grand ornithologue, il faut blâmer l’impact du braconnage à la fin du XIXème et début XXème siècles. Selon les chiffres qu’il rapporte dans son ouvrage, le piégeage et la chasse au tir en-dehors de toute réglementation ont littéralement décimé les populations. Comme dans la province du Trentin en Italie, où il cite 38.000 prises entre 1895 et 1912 !

On notera un paradoxe dans ses écrits. Comment parler de chiffres aussi précis pour des cas de braconnage par définition zone d’ombre des statistiques cynégétiques ? Aussi Géroudet laisse toutefois supposer qu’il considérait la chasse comme facteur principal avant les années 1960-70. Et pourtant, la déprise agricole était aussi déjà citée par Géroudet dans ses écrits ! Aussi le témoignage littéraire de Pagnol interpelle : la célèbre Bartavelle aurait-elle connu une surexploitation cynégétique avant guerre, suivi d’une perte défavorable de ses habitats ouverts ?

Conclusion : qui veut la peau de la Bartavelle ?

La conservation des Galliformes de montagne prend une tournure politique. Les débats se focalisent autour de la chasse. Pour autant, la chasse demeure un facteur mineur face aux menaces majeures que telles que le réchauffement climatique et la dégradation des milieux montagnards. Aujourd’hui, la chasse des Galliformes de montagne suit des plans de chasse précis définis par les CDCFS et relayés dans les SDGC. D’aucuns proposeront d’alléger la pression sur l’espèce par un moratoire. Mais l’ONCFS notait en 2018 que le prélèvement cynégétique ne représentait que 1,6 % des effectifs d’oiseaux. Sommes-nous dans les clous d’une mortalité compensatoire (moins de 1% du taux de mortalité naturel) ? Ou faut-il envisager aussi un moratoire préventif de la Bartavelle ?

La question est importante, d’autant plus qu’un moratoire aurait l’avantage d’alléger le cortège de pressions négatives sur l’espèce. Cependant, les fédérations de chasse fournissent des moyens et bénévoles nécessaires à la conservation des milieux. Risque-t-on de saper la motivation de bras nécessaires par un moratoire ? La question dépasse les chiffres démographiques de l’espèce, car elle renvoie à un débat sociologique plus large. Quel avenir pour la montagne ?

Oiseau symbole des montagnes alpines et de Provence, la Bartavelle fit la gloire de nos pères. Espérons qu’une stratégie de sauvegarde ambitieuse engage chaque acteur local dans une coopération vertueuse. Et que ce travail collectif pour les milieux montagnards fera la fierté de nos fils.

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