Les cycles de Milankovitch influencent profondément la géologie moderne. A tel point que la culture populaire leur accorde même une certaine notoriété ! Cette découverte récente du grand public n’est pas forcément liée aux programmes de l’éducation nationale. Elle provient également d’un intérêt des internautes pour cette théorie face aux changements climatiques actuels. Mais est-il pour autant pertinent d’établir un tel lien entre ces deux notions ? Dans cet article, nous revenons plus en détails sur ces cycles géophysiques et conclurons sur les limites de leurs interprétations.
Histoire de la glaciologie
Les périodes glaciaires ne sont connues que depuis trois siècles grâce à l’essor de la géologie moderne. La paléoclimatologie, science qui étudie les climats du passé, est même née en France, dans la périphérie des Alpes. Les géologues du 18ème siècle s’interrogeaient sur la présence de blocs granitiques déposés à même les reliefs calcaires du Jura. Ou encore le « gros caillou » de Lyon, énorme bloc de quartzite triasique déposé à plus de 175 km des plus proches affleurements de Haute-Maurienne et de Haute Tarentaise ! Les vallées alpines frappaient également l’imagination de ces savants par leur forme caractéristique en « U » . Mais sans réelle explication avant 1837, lorsque le géologue américano-suisse Louis Agassiz relia toutes ces preuves à l’existence passée de glaciers recouvrant le Jura et une partie du bassin lyonnais.
La géologie et la climatologie viennent alors de faire un bond de géant. Mais il reste encore à comprendre comment le climat a pu évoluer de manière si spectaculaire au cours du temps. En 1842, le mathématicien français Joseph Adhémar proposa que les variations de l’orbite terrestre soient resonsables de cycles glaciaires et changements climatiques majeurs. L’idée fut considérée comme absurde par ses contemporains, mais inspira tout de même les travaux de James Croll, qui en 1875 élabora une théorie astronomique des climats passés. Ses prédictions s’appuyaient sur la précession de l’orbite terrestre. Il estimait ainsi que les glaciations apparaissaient tous les 23.000 ans. Mais elle ne satisfaisait pas pour autant les estimations géologiques de l’époque.
Une solution fut enfin apportée par le mathématicien et astronome serbe Milutin Milankovitch. S’appuyant sur les connaissances les plus récentes en géophysique et astronomie, il bâtit entre 1920 et 1941 un modèle complexe corrélant les cycles de glaciation du Pléistocène aux variations de l’orbite terrestre. Sa théorie, plus connue sous le nom de « cycles de Milankovitch » , proposait également une causalité entre variation d’insolation à la surface glaciaire et transitions entre cycles glaciaires-interglaciaires.
Explications astronomiques des cycles de Milankovitch
L’orbite de la terre autour du Soleil n’est pas un cercle parfait. Elle forme une ellipse légèrement aplatie par rapport à un cercle. Ce degré d’aplatissement se nomme excentricité. Ce phénomène s’explique par la présence d’autres planètes dans le système solaire ! La Terre subit aussi les forces gravitationnelles des autres corps célestes, ce qui déforme légèrement son orbite.
- Tout d’abord, l’excentricité de l’orbite terrestre est très faible, de l’ordre de 0,017. Mais les perturbations planétaires créent des variations lentes entre 0,005 et 0,058. Milankovitch a ainsi démontré que ces variations sont cycliques sur 100.000 ans. En conséquence, la distance entre la Terre et le Soleil oscille selon ce cycle, à mesure que la trajectoire de la Terre subit une déformation en ellipse périodique.
- Ensuite, l’axe de rotation de la Terre n’est pas perpandiculaire au plan d’orbite terrestre. En effet, une inclinaison (ou obliquité) a pour conséquence que l’équateur, par exemple, n’est pas parallèle à l’orbite terrestre. Cette inclinaison est responsable des saisons. Au cours d’une rotation complète (365 jours) autour du Soleil, la durée d’ensoleillement et l’intensité du rayonnement solaire varient cycliquement. L’inclinaison terrestre est de 23 degrés par rapport à la verticale. Mais elle oscille également périodiquement entre 22,1° et 24,5° selon un cycle de 41.000 ans.
- Enfin, la Terre est une toupie projetée dans sa trajectoire autour du Soleil. Notre planète subit un mouvement giratoire appelé précession, dont le cycle est de 26.000 ans. Conséquence bien connu de cette précession, l’étoile polaire a changé au cours des derniers millénaires. Actuellement dans l’hémisphère Nord, l’étoile α Ursae Minoris (Polaris) détient le titre d’Etoile Polaire. Mais il y a 2.800 ans, c’est l’étoile α Draconis (Thuban) qui exerçait ce rôle. Enfin dans 8.000 ans, Alpha Cygni (Deneb) remportera à son tour le titre !
De l’hypothèse à la confirmation des cycles de Milankovitch
L’axe de rotation de la Terre suit donc un mouvement complexe. Il s’explique par trois phénomènes d’oscillation : l’excentricité, l’inclinaison et la précession. Ces trois phénomènes astronomiques ont respectivement des périodes de 26.000 ans, 41.000 ans et 100.000 ans. Or la moindre variation de l’axe de rotation modifie la quantité d’énergie solaire à la surface terrestre ! C’est pourquoi la théorie de Milankovitch met en corrélation le forçage orbital (variations périodiques de trajectoire et d’axe de rotation de la Terre) et les glaciations majeures du Pléistocène.
Mais encore fallait-il que cette hypothèse soit prouvée expérimentalement. Pendant plus de trente ans, les cycles de Milankovitch ne sont qu’une théorie parmi d’autres permettant d’expliquer les cycles de glaciation passés. Une preuve géologique majeure parvint cependant en 1976. Dans un article publié par la revue Science, Jim Hays et ses collègues démontrèrent la présence des cycles d’oscillation terrestre (excentricité, précession et inclinaison) dans les cycles climatiques et la variation du volume des glaciers continentaux durant les 700.000 dernières années.
Ils réalisèrent pour cela des analyses géochimiques (isotope 18O) à partir de carottages de sédiments effectués à travers le monde. Cette technique permet d’estimer les températures de surface passées. La conclusion de leurs travaux souligne une corrélation entre les cycles de variation du climat (23.000 ans, 41.000 ans et 100.000 ans) et les cycles astronomiques de Milankovitch (26.000 ans, 41.000 ans et 100.000 ans).
Les limites des cycles de Milankovitch
La confirmation expérimentale de la théorie de Milankovitch eut l’effet d’une révolution dans les sciences climatiques et géologiques. Elle permit alors d’estimer les paléoclimats récents du Pléistocène et de prédire les futures périodes de glaciation. Mais le modèle de Milankovitch connaît également ses limites. Il serait en effet erroné de le considérer comme absolu. En effet, les mécanismes transitoires entre variation de l’insolation à la surface de la Terre et modifications climatiques durables sont encore mal connus. La mise en place de épisodes glaciaires échappe aux propositions historiques de Milankovitch. Enfin, la recherche géophysique utilise désormais une formulation plus moderne.D’autres modèles géologiques et d’observations actuelles affinent sans cesse cette théorie.
La corrélation proposée par cette théorie demeure cependant robuste sur les 700.000 dernières années. Cependant, il est difficile de calculer avec précision les lointaines périodes astronomiques de l’orbite terrestre. En effet, le système solaire est trop chaotique pour obtenir des calculs fiables de l’excentricité au-delà de plusieurs dizaines de millions d’années. Quant à l’inclinaison et la précession, elles demandent une estimation de la répartition passée des masses terrestres que les modèles ne peuvent fournir de manière suffisamment précise !
Enfin, certaines opinions sur le web laissent entendre que le cycle de Milankovitch expliquerait seul le changement climatique actuel. Si cette hypothèse était vraie, alors nous serions depuis 5.000 ans déjà entrés dans un nouvel âge glaciaire. Cependant l’ellipticité actuelle de la Terre est très faible. Ce qui empêche les autres cycles de jouer leur rôle efficacement. Ainsi les prochaines glaciations auront lieu au mieux dans 41.000 ans ou 64.000 ans. D’ici là, l’augmentation artificielle des gaz à effet de serre dans l’atmosphère terrestre sera déjà un épisode passé. La Terre aura absorbé en l’espace de quelques siècles l’excès de dioxyde de carbone émis. Quant à l’Humanité, difficile de savoir si elle aura survécu à ses propres erreurs lorsque reviendra la prochaine glaciation !