Paléoclimat : décalage entre températures et teneurs en CO2

Au cours des 700.000 dernières années, la Terre a connu une succession de périodes glaciaires et interglaciaires. Les teneurs en dioxyde de carbone suivent le cycle des températures. Elles varient ainsi en moyenne de 80 à 100 ppm dans l’atmosphère terrestre. Ces données proviennent de carottages de glace en Antarctique. Cependant, ces hausses de dioxyde de carbone atmosphérique se produisent en général 1000 ans après l’élévation des températures. Comment alors expliquer ce décalage ?

Décalage entre températures reconstituées et teneurs en CO2.

Un phénomène océanique profond

Selon les cycles de Milankovitch, les périodes interglaciaires apparaissent approximativement tous les 100.000 ans. Ces cycles sont liés aux variations de l’orbite terrestre : excentricité, inclinaison, procession. Les effets combinés de ces trois oscillations orbitales provoquent ainsi des changements sur le long terme de l’irradiance solaire à la surface de la Terre. Ce phénomène s’observe en particulier dans les hautes latitudes. Par exemple, voici 18.000 ans, la quantité de lumière à la surface des hémisphère sud au printemps a augmenté. Par conséquent, la banquise antarctique et les glaciers de cet hémisphère se sont retirés. La perte de glace a eu un effet positif sur le réchauffement en diminuant l’albédo.

Alors que les océans de l’hémisphère Sud se réchauffaient, la solubilité du CO2 dans l’eau diminuait. Ce phénomène provoqua une émission massive de CO2 dans l’atmosphère. Le mécanisme exact de ce dégazage n’est pas encore complètement connu. Mais il est probablement relié aux échanges avec les couches profondes océaniques. Le processus prend près de 1000 ans, ce qui explique le décalage noté dans les analyses géochimiques des glaces de Vostok.

Effet de serre amplifié

Le dégazage brutal des océans en CO2 a plusieurs effets. Par effet de serre, il va d’abord amplifier le réchauffement originel. Le forçage relativement faible des cycles de Milankovitch est insuffisant pour provoquer une déglaciation. Cependant, l’effet amplificateur du CO2 est compatible avec le réchauffement observé.

Le CO2 émis par les océans de l’hémisphère Sud se répand ensuite dans l’atmosphère et joue ainsi le rôle d’effet de serre dans l’hémisphère Nord. Les températures estimées à partir de carottages des glaces du Groenland montrent que le réchauffement de l’hémisphère Nord suit lui aussi un décalage. En effet, il s’aligne par rapport à l’émission de CO2 dans les océans de l’hémisphère Sud.

En conclusion, les déglaciations sont bien initiées par les cycles de l’orbite terrestre, et non par les émissions de CO2. Cependant, ces seuls cycles astronomiques ne peuvent pas expliquer le réchauffement planétaire en période interglaciaire. Le dégazage en CO2 des océans est donc à la fois une conséquence et un facteur d’amplification de ce réchauffement. Enfin, le CO2 atmosphérique émis se disperse par la suite autour de la planète, créant un effet de serre global.

La base antarctique de Vostok. Crédits : wikimedia

Le δ18O : témoignage du passé climatique

Les cycles de Milankovitch permettent d’expliquer la plupart des cycles de glaciation depuis près d’un million d’année. La corrélation entre variations de l’orbite terrestre et variations climatiques repose sur l’étude des carottages de sédiments et glaces. A partir d’outils d’analyse géochimique, les scientifiques déterminent les teneurs en 18O, un isotope naturel stable de l’oxygène. Ils calculent ensuite le δ18O, c’est-à-dire le ratio normalisé des isotopes 18O/16O. La formule exacte est cependant plus complexe, car elle prend en compte la confrontation du dosage de l’échantillon au ratio connu dans une eau artificielle de référence. L’isotope 16O est le plus abondant car il représente 99,75 % des atomes d’oxygène. Il est aussi plus léger que l’isotope 18O, élément stable présent à hauteur de 0,2 % sur Terre.

Les climatologues mesurent systématiquement en Antarctique (et dans d’autres stations scientifiques) le δ18O de l’eau contenu dans les précipitations (neige ou pluie). Il s’avère que plus la température diminue dans l’atmosphère lorsque l’eau se condense, plus les précipitations seront riches en eau H218O. C’est-à-dire que l’eau recueillie contient plus fréquemment l’élément 18O. Ce phénomène s’explique par une différence d’énergie nécessaire pour liquéfier ou sublimer la vapeur d’eau atmosphérique selon sa composition isotopique. Lorsqu’elle contient de l’oxygène lourd 18O, elle se condense mieux et plus vite. Par conséquent, les basses températures favorisent l’eau H218O . Il suffit ensuite de représenter le δ18O en fonction de la température de l’atmosphère. Le graphique obtenu est une relation linéaire. En extrapolant ces résultats au le δ18O des glaces et sédiments carottés, les scientifiques obtiennent ainsi un « paléothermomètre » !

Thermomètre isotopique

Historiquement, le δ18O servit de référence pour corréler cycles de Milankovitch et cycles glaciaires. Mais il existe également un autre ratio, le δD (rapport entre les isotopes de l’hydrogène 1H et 2H ou deutérium) fonctionnant sur le même principe. lorsque la température diminue, l’eau lourde D2O contenant du deutérium se condense plus facilement que l’eau H2O.

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