Munitions de chasse au plomb et pollution

L’usage du plomb par la chasse, la pêche et le tir de loisirs pose de sérieux problèmes sanitaires et environnementaux. Alors qu’en Europe ce métal lourd a été retiré de la plupart des produits industriels, il est encore massivement employé pour le tir et la pêche. Chaque année, ces activités déversent 47.000 tonnes de plomb. La chasse représente à elle-seule 21.000 tonnes pour la chasse, dont 33% se retrouvent dans des zones humides. Selon l’ECHA (European Chemicals Agency), la chasse représenterait au minimum 44,7% de ces rejets, contre 42,6% pour le tir sportif et 12,7% pour la pêche. En France, selon l’Inserm, le tir de chasse et de loisir (ball-trap) déverse chaque année 8000 tonnes de plomb dans la nature.

L’empoisonnement au plomb tuerait un million d’animaux par an, et entraînerait des effets sublétaux chez trois autres millions d’individus. La contamination remonte aussi la chaîne trophique, jusqu’aux prédateurs et charognards particulièrement sensibles. En outre, les fragments de munitions au plomb s’insinue facilement dans le grand gibier. La venaison contaminée présente donc un risque sanitaire pour le consommateur. Ainsi, près de dix millions de chasseurs, pêcheurs et leurs proches seraient chroniquement exposés à un empoisonnement alimentaire au plomb.

Grenaille de plomb
Grenaille de plomb. Image d’illustration Wikimedia / Licence CC.

Plomb et risques sanitaires

Le plomb est un métal lourd, d’ont l’usage l’artisanat et l’industrie remonte à l’époque romaine. Facile à travailler, son emploi se retrouve dans la métallurgie, la mécanique, la chimie industrielle … Son utilisation comme additif aux carburants, colorant chimique de peintures ou encore dans les conserves alimentaires et aujourd’hui bannie.

Sous sa forme atomique, le plomb n’est pas dangereux. Il le devient lorsqu’il se dissout sous forme ionique, un neurotoxique s’accumulant dans l’organisme. Les cas d’intoxication aiguë ou chronique au plomb sont responsables du saturnisme, maladie provoquant de graves symptômes neurologiques, digestifs et osseux. Chez la femme enceinte, l’intoxication au plomb provoque une neuro-dégénérescence du fœtus et entraîne des handicaps mentaux infantiles.

Ecotoxicologie du plomb

Le petit gibier s’intoxique par ingestion directe de grenaille de plomb ou en consommant des aliments contaminés. Lors d’une partie de chasse en zone humide, une fraction seulement des billes de plomb atteignent leur cible. Les autres retombent dans l’environnement. Les oiseaux d’eau peuvent alors confondre ces particules métalliques avec de la nourriture. Mais parfois aussi avec du gravier, qui facilite le broyage mécanique dans le gésier. Dans cette cette poche digestive des oiseaux, les billes de plomb s’accumulent. Les sucs gastriques combinés au travail musculaire vont faciliter la dissolution en plomb ionique. Le contaminant se propage ensuite dans l’organisme.

Chez les oiseaux d’eaux, cette contamination donne lieu au saturnisme aviaire. Les individus contaminés souffrent de désorientation. Ils sont victimes d’anorexie et de troubles psychomoteurs. Leurs fientes verdâtres et anormalement liquides trahissent un trouble gastro-entérique. Incapables de se nourrir correctement, anémiés, ils deviennent des proies faciles pour les prédateurs. Dans les cas d’intoxication les plus aiguës, l’oiseau succombe d’une défaillance des organes vitaux ou d’encéphalite.

Les canards de surface sont particulièrement sensibles au saturnisme aviaire. Le Canard pilet et le Fuligule milouin sont les plus exposés. Cette maladie affecte aussi les oiseaux terrestres. En effet, des oiseaux granivores (faisans, perdrix, tétras, passereaux …) peuvent tout aussi bien ingérer de la grenaille de plomb. Les effectifs d’oiseaux victimes de saturnisme sont sous-évalués. En effet, seuls les cadavres de gros oiseaux d’eau sont repérés facilement. Les autres sont trop bien cachés ou rapidement dévorés.

Enfin, les prédateurs et charognards peuvent s’intoxiquer à leur tour en consommant des individus contaminés. Ce saturnisme secondaire rend particulièrement vulnérable des espèces patrimoniales comme le Gypaète barbu. Ses sucs digestifs peuvent en effet dissoudre le plomb fixé dans les ossements.

Fuligules milouins
Fuligules milouins. Digiscopie. Crédits : Guillaume Calu

Un risque de santé publique encore mal évalué ?

Les munitions au plomb se dispersent aisément dans l’environnement. Elles peuvent se ficher dans des végétaux consommés ensuite par des herbivores. De plus, les munitions se fragmentent facilement en traversant les organismes, ou restent fichées ans du gibier blessé non-prélevé. Par ingestion ou par blessures, tout gibier se retrouve potentiellement contaminé par le plomb. La venaison présente en effet des concentrations en plomb supérieures aux teneurs observées dans la viande de boucherie. Pour ces raisons, l’ANSES recommande de limiter la consommation de grand gibier sauvage à trois fois par an, et la déconseille strictement aux femmes en âge de procréer et aux enfants.

Le risque sanitaire ne se limiterait probablement pas au seul gibier. En effet, l’exercice de la chasse sur des parcelles de culture de maïs fourrager peut entraîner l’accumulation de fragments de plomb dans le végétal. Les lixiviats d’ensilage, acides et corrosifs, peuvent favoriser la dissolution de métaux lourds. Au risque de contamination par le sol ou l’exposition artificielle à des matériaux s’ajoute donc les fragments de munitions au plomb. L’empoisonnement au plomb du cheptel bovin représente enfin un risque sanitaire que ces cartouches peuvent potentiellement aggraver.

Chasse en zone humide et alternatives au plomb

Face aux risques environnementaux, plusieurs pays ont mis en place des mesures d’interdiction. Les Etats-Unis ont ainsi banni les munitions à grenaille de plomb. Au Canada, l’interdiction ne concerne que la chasse aux oiseaux d’eau. En Union Européenne, la réglementation varie selon les états-membres. Le bannissement total s’applique en Belgique (région flamande), au Danemark, en Norvège et aux Pays-Bas. L’Allemagne, Chypre, la France, le Royaume-Uni, la Slovaquie, la Suède et la Suisse se sont engagés à suivre le plan d’action de l’AEWA (Accord sur la conservation des oiseaux d’eau migrateurs d’Afrique-Eurasie). Cette feuille de route envisage la suppression progressive des munitions à grenaille de plomb dans les zones humides. Enfin l’Espagne, la Hongrie, la Lettonie et le Royaume-Uni ont imposé une interdiction stricte de ces munitions dans les zones humides d’importance écologique majeure (sites Ramsar par exemple).

En France, l’article L. 424-6 du code de l’environnement interdit l’usage des munitions au plomb dans les zones humides, qu’il s’agisse de marais non asséchés, de fleuves, rivières, canaux, plans d’eau, étangs, ou encore du littoral. Cependant, cette zone d’interdiction absolue jouxte une « bande des 30 mètres » autorisant le tir à munitions de plomb. Mais dans la mesure où l’axe du tir évite les zones d’eau. Une règle contestée car difficile à appliquer sur le terrain. En dehors des zones humides et de cette bande spécifique, le tir à munitions de plomb est autorisé.

Chasse plomb zone humide
Principe de la chasse en zone humide. Crédits : ONCFS

Remplacer la grenaille de plomb

Les alternatives aux munitions à grenaille de plomb se développent depuis une trentaine d’années, mettant en avance plusieurs contraintes balistiques et sanitaires. Les premières munitions alternatives au plomb risquaient d’abîmer le canon des armes de chasse. Problème désormais résolu chez la plupart des fabricants grâce au développement de bourres à jupes spécifiques.

En raison de sa forte densité et son faible degré de dureté, le plomb est efficace pour tirer le gibier d’eau tout en limitant les risques de ricochets. Des propriétés qui déclinent avec l’acier, métal non toxique mais de densité plus faible et de dureté supérieure. L’acier limite en effet de 30% la distance de tir et augmente le risque de ricochets (et donc d’accidents de chasse). L’acier provoquerait de graves blessures non létales (risque d’estropier le gibier non prélevé), bien que le document ci-dessous tempère ces propos.

Les munitions au bismuth, de densité et dureté comparables au plomb, ont une distance de tir inférieure de 25% et sont encore considérées comme trop chères par les chasseurs. Les munitions contenant du tungstène se révèlent très efficaces : pas de ricochet, ni d’oiseaux estropiés, et une distance de tir accrue de 10-15%. Ce métal de densité et de dureté quasi similaires au plomb se retrouve également dans les munitions à alliage, optimisant ses performances.

Sources du document : FDC54

Munitions au plomb et chasse au grand gibier

En raison des risques sanitaires et environnementaux, le remplacement des munitions sans plomb pour la chasse au grand gibier s’impose également. Mais la mesure souffre encore de réticences chez les chasseurs. En effet, le risque de ricochet des munitions alternatives en acier augmente. Enfin, ces alternatives sont considérées trop onéreuses. Localement, des expériences participatives proposent de tester ces munitions alternatives. Notamment dans des territoires particulièrement sensibles au saturnisme. En Lozère, une action menée dans le cadre du programme Life Gypconnect invitait 51 chasseurs volontaires dans 43 communes du Parc National des Cévennes à tester des munitions sans plomb. Le programme de sauvegarde payait en partie le surcoût de ces munitions. A l’issue de la première saison d’expérimentation, les chasseurs ont jugé la précision et l’efficacité de tir de ces munitions très satisfaisantes.

Au fil des années, les fabricants ont réalisé de nets progrès technologiques. Les munitions alternatives de grande chasse génèrent désormais un ricochet équivalent aux balles de plomb. Leur portée est supérieure, et elles se révèlent même plus efficaces à l’impact ! Demeure le prix encore supérieur (10% en moyenne), mais qui pourrait bien être contre-balancé par l’attrait de leurs performances actuelles.

Chasse au plomb et gros gibier.
Image d’illustration : chasse au gros gibier en Finlande (Wikimedia / licence CC)

Conclusion

Loin des clichés habituels, le monde de la chasse a désormais pris conscience des risques environnementaux et sanitaires liés aux munitions au plomb. Même constat pour le monde de la pêche, où des fabricants de lests proposent désormais des alternatives sans plomb à base de zamac. Dernière ombre au tableau, le tir sportif semble pour le moment échapper à ces considérations environnementales. Et pourtant, sa pratique en extérieur n’en demeure pas moins la seconde source de contamination au plomb par les activités de sports loisirs. Ne devra-t-il pas à son tour montrer l’exemple ?

Enfin, la réglementation tarde à évoluer. Dans l’Union Européenne, seule l’Allemande a interdit tout type de munition au plomb dans les forêts domaniales. En France, durant la campagne présidentielle de 2017, le candidat Macron s’était engagé à étendre l’interdiction des munitions au plomb à l’ensemble du territoire. Cette promesse est restée vaine pour le moment. Mais face à l’immobilisme politique, une décision forte pourrait provenir de l’Union Européenne. Il en va tout autant de la santé publique que de la qualité des écosystèmes.

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