Comment sauver la Tourterelle des bois ?

La conservation de la Tourterelle des bois pourrait sembler faire l’unanimité. Et pourtant, une polémique scientifique existe aussi quant à la nécessité d’un moratoire sur sa chasse en France. Les écologues seraient-ils du côté des chasseurs ? En réalité, le dossier n’est pas si simple et nécessite quelques éclaircissements sur la gestion adaptative de sa chasse. Les esprits s’échauffent rapidement sur les réseaux sociaux, surtout après que l’Arrêté du 27 août 2020 ait récemment fixé les quotas de prélèvements à 17 460 Tourterelles des bois pour la saison de chasse 2020-2021.

Mais la Tourterelle des Bois est en déclin. Elle souffre en effet des dégradations de ses habitat : destruction des haies et bocage, agriculture intensive, perte de qualité des sites d’hivernage (chasse locale, dégradation des sites naturels au Sahel) et perturbations multiples liées au réchauffement climatique. La chasse de la Tourterelle des bois en Europe pose donc un problème de conservation de l’espèce : Lormée et al. (2019) soulignent que les niveaux de chasse excèdent la fraction d’individus prélevable ! Puisque nous chassons trop, il faut impérativement réduire les quotas de chasse. Mais doit-on pour autant arrêter de chasser cette tourterelle ? La question, loin d’être provocatrice, soulève un réel dilemme de conservation de l’espèce.

Tourterelle des bois
Tourterelle des bois (Streptopelia turtur). Sources : wikipedia

Une lecture critique pertinente

Hervé Lormée est un expert scientifique français souvent cité dans la presse, car coordonnateur de l’équipe colombidés de l’Office français de la biodiversité (OFB). Il s’est exprimé sur le dossier Tourterelle à plusieurs reprises et sa parole est particulièrement nuancée sur ce sujet. Interviewé dans la revue La Salamandre : « Une dizaine de pays européens peuvent encore chasser l’espèce. L’Espagne ne s’en prive pas avec un tableau annuel de 800 000 tourterelles. En Italie, c’est environ 300 000. En revanche, la Suisse ne chasse pas cette espèce » .

Tandis qu’en France pour la saison 2013-2014, on parle de 90.000 prélèvements. Lors de la saison 2019-2020, l’Arrêté fixait le quotas à 18.000 tourterelles. Et pour la saison 2020-2021, le Comité d’experts sur la gestion adaptative de la Tourterelle avait proposé un quota nul (13/05/19). « Les experts du comité de gestion adaptative ont estimé que l’état de santé de la tourterelle des bois au niveau européen justifiait un quota de tir à zéro en France » Hervé Lormée (La Salamandre). Cette stratégie visant à un retour aux effectifs des années 2000.

Mais les choses ne se sont pas déroulé comme prévu, car le Comité de gestion et le Ministère de la transition écologique a opté pour un prélèvement de 17460 Tourterelles des bois. Pourquoi ce revirement brutal ? Ce n’est pas à proprement parler un choix scientifique mais socio-économique. Lormée reconnaît aux chasseurs des efforts pour la conservation du bocage, la plantation de haies et l’entretien de chaumes. Cependant, rien de totalement altruiste, il s’agit aussi de leurs missions bénévoles telles que définies dans le Code de l’Environnement (Art. L420-1) : « En contrepartie de prélèvements raisonnés sur les espèces dont la chasse est autorisée, les chasseurs doivent contribuer à la gestion équilibrée des écosystèmes« .

La dualité des acteurs cynégétiques

Or Lormée et ses collègues craignent un effet de découragement des chasseurs impliqués dans la conservation de la Tourterelle des bois en cas de mise en place d’un moratoire. Une crainte déjà rapportée dans la littérature scientifique (Madsen et al. 2015). « Au vu des efforts consentis par les chasseurs pour la conservation du bocage, la plantation de haies et l’entretien de chaumes, un compromis devait être recherché pour satisfaire toutes les parties » déclare Lormée dans La Salamandre.

Se concentrer uniquement sur la réduction de la pression de chasse peut se révéler inefficace si rien n’est fait contre la dégradation des habitats (O’Brien et al., 2017). Lormée et al. (2019) notent dans la conclusion de leur article que les quotas de prélèvement nécessitent donc une véritable politique agri-environnementale et agri-forestière de restauration des habitats en faveur de la Tourterelle des bois. Protéger l’espèce tout comme son foyer sont primordiaux.

Mais faut-il pour autant absolument soumettre l’avenir de la Tourterelle des bois à la médiation socio-économique ? La conservation absolue d’une espèce ne doit-elle pas primer sur les loisirs ? Et c’est là un sujet de désaccord entre chasseurs et ornithologues. Lormée : « Il est évident que dans le contexte l’avis scientifique penche d’abord pour un moratoire visant à aucun prélèvement ». Cette citation est importante, car elle rappelle que la décision de l’Arrêté du 27/08/2020 est au final un consensus politique !

Or cette autre phrase de Lormée dans cet interview l’est tout autant : « ce qu’on pouvait gagner d’un côté en soulageant la pression de la chasse, on risquait de le perdre de l’autre en démotivant ces associations de chasse » . Le sort de la Tourterelle des bois se réduit-il alors à un problème de « motivation » des acteurs cynégétiques ?

Point de salut sans recherche scientifique

Peut-on espérer une amélioration des effectifs de Tourterelle des bois malgré cette médiation politique, et non scientifique ? Les chercheurs de l’OFB penchent pour un scénario de dynamique des populations issu des plans de gestion cynégétiques appliqués outre-Atlantique.

Il s’agit de favoriser un taux de reproduction soutenu par une faible densité d’individus présents dans un habitat préservé. La proposition peut sembler contradictoire, mais il s’agit de mettre en œuvre un principe théorique de dynamique des populations. Il s’agit d’un compromis appliqué à la réalité sociologique rurale française, et non d’une solution scientifique optimale. « L’idéal scientifique serait de ne pas la chasser du tout« .

Ce compromis, même s’il nécessite d’abaisser considérablement la pression de chasse en France, n’est donc pas assuré à 100% d’enrayer le déclin de la Tourterelle des bois. Ce qui reste le cœur du problème : on cherche des compromis partiels pour un succès de conservation incertain.

De plus, nous manquons d’informations sur la survie des adultes, la structure par âge et la taille des populations ! L’effet taux de reproduction favorisé par faible densité reste une hypothèse inspirée de plans de gestion américains. D’autres espèces, d’autres situations. Il nous faut donc plus d’études terrain. Car pour la Tourterelle des bois aussi, point de salut sans recherche scientifique.

De l’impossible prise de conscience unanime sur le terrain ?

Si les associations cynégétiques ne fonctionnent qu’à la « carotte » du prélèvement minimal pour assurer un rôle de conservation de la Tourterelle des bois, alors le constat est au final plutôt navrant. Le principe du moratoire n’est-il pas justement de préserver aujourd’hui la ressource naturelle afin de pouvoir encore l’exploiter demain ?

Car au-delà du ressenti personnel pro- ou anti-chasse de chacun, il se pose une question de fond : la Tourterelle des bois a perdu en Europe près de 80 % de ses effectifs en seulement quarante ans. N’est-ce pas le plus préoccupant ici, sa disparition annoncée ?

Est-il encore raisonnable de parler de compromis alors que l’extinction menace ? Ce qui devrait réunir chasseurs et écologistes, c’est avant tout l’urgence de la situation, et non la querelle de chiffres de quotas.

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