Créer une forêt primaire dans les Vosges ?

L’Association Francis Hallé pour la forêt primaire, du nom de son initiateur et botaniste émérite, se donne pour objectif de développer une forêt primaire européenne de 70.000 hectares. Dans la veine des projets de « rewilding » qui fleurissent en ce début de siècle, cette association milite pour une forêt primaire sans aucune exploitation humaine. L’idée est d’obtenir sur cette grande échelle un écosystème forestier dense. Ce qui permettrait d’assurer une régulation climatique locale tout en favorisant la biodiversité.

Mais avant de parvenir à un stade de forêt primaire, il faudra patienter 800 ans à partir d’une forêt existante. Aussi, différents projets de rewilding visent plus modestement à restaurer suffisamment d’interactions dans des écosystèmes forestiers pour parvenir à un équilibre « auto-géré ». Un des exemples français mis en valeur dans la littérature scientifique concerne le massif des Vosges. Et notamment le sujet sensible de son équilibre sylvo-cynégétique.

Une forêt primaire dans les Vosges ?

Annik Schnitzler, Marie-Stella Duchiron et Gérard Lang ont publié entre 2016 et 2017 deux articles dans la Revue Forestière Française. Ils proposent une solution durable et pérenne à la gestion du Cerf élaphe dans le massif vosgien. De prime abord, tout compromis difficile semble impossible entre les exigences de régulation forte des forestiers, et d’une présence importante par les chasseurs et naturalistes. Le constat initial de ces auteurs s’appuie sur l’histoire et la paléo-histoire de ce massif montagnard. Depuis son importante exploitation par l’Homme, le milieu forestier s’est largement ouvert. Les espaces mixtes sont favorables aux proliférations de Cerfs et de Chevreuils. Par conséquent, les espaces fortement anthropisés favorisent les effectifs denses de ces Ongulés.

L’objectif est d’atteindre un équilibre dynamique du massif vosgien. Et ainsi, d’assurer une résilience face aux crises climatiques et de biodiversité. Les auteurs préconisent dans ce but deux solutions radicales. Accentuer la déprise anthropique sur le massif vosgien. Puis favoriser la présence de grands carnivores. Or diminuer n’est pas abandonner pour autant les territoires. Pour assurer la survie économique du massif, les auteurs misent sur un contrôle touristique strict. Dans les écosystèmes forestiers, les arbres participant autant au biotope qu’à la biocénose. Il est donc nécessaire de favoriser dans un premier temps une couverture forestière dense et fermée.

Pour se faire, les auteurs accordent au Loups et au Lynx le rôle de régulateurs naturels. Leur prédation devra assurer une pression suffisante sur les effectifs de Cerfs et de Chevreuils. Ainsi, les jeunes plants d’arbres ne seront pas menacés par le broutage. D’après les auteurs, une meute de loups par superficie de 100 km² constituerait un premier pas vers cet équilibre dynamique. Le PNA visant à la conservation du Lynx en France se présente aussi comme un atout majeur pour un tel projet.

Concilier forêt résiliente et socio-économie du territoire

Le choix du territoire et des services écosystémiques visés sont cruciaux. Ce qui est possible dans les Vosges ne le sera pas systématiquement ailleurs. Et le rewilding ne saurait constituer la seule stratégie de gestion adéquate des écosystèmes. En conséquence, l’historique du massif vosgien permet aux auteurs de justifier leur projet. Bien entendu, un tel programme de rewilding sous-entend un changement radical dans l’économie vosgienne. Lutter contre l’emprise sylvicole et agricole d’une partie conséquente du massif. Contenir un tourisme de masse et abandonner la pratique intensive de sports d’hiver.

Tout ceci ne peut qu’avoir un impact socio-économique majeur sur ce territoire montagnard densément occupé. Et c’est toute la difficulté des programmes de rewilding, tout aussi vertueux soient-ils pour l’écologie. Le plus gros obstacle demeure le facteur humain. Sans accompagnement politique fort d’une telle reconversion territoriale, le rewilding sera perçu par les locaux comme un cruel abandon. Mais pourtant, le projet en vaut localement la chandelle. Car si le rewilding rime avec compensation sociale, alors peut-être que cette troisième voie verte et durable sera vertueuse. Mais que le facteur humain soit négligé, et tout le projet s’effondrera irrémédiablement.

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