Le mercure : émission et toxicité dans l’environnement

Le mercure est un métal lourd volatile de très basse température de fusion (Tf = -38,8°c). Autrefois très abondant dans l’industrie notamment sous la forme d’amalgames métalliques, son usage est désormais fortement contrôlé depuis 1999. En effet, la vapeur de mercure est hautement toxique. Sous forme organométallique, il s’accumule dans la chaîne alimentaire et intoxique les consommateurs. Dans l’environnement, le cycle biogéochimique du mercure présente des sources d’émission naturelles comme anthropiques (voir figure ci-dessous).

datation glace mercure
Teneurs relevées en mercure par carottage dans les glaces du mont Frémont (USA) reportées sur la période 1725-2000

Un métal lourd autrefois abondant

L’emploi du mercure était fréquent dans les instruments météorologiques comme les thermomètres. Les cas d’ingestion domestique de mercure étaient alors aussi bien accidentels que criminels ! Cependant, les produits manufacturés comme les ampoules électriques et lampes à mercure en possèdent encore aujourd’hui. Une ampoule à fluorescence peut contenir 5 à 10 mg de mercure, ce qui explique la nécessité de recycler les articles usagers. L’industrie automobile en faisait grand usage pour les contacteurs métalliques.

Toxicité du mercure

Bien que le mercure liquide Hg(l) soit très peu toxique sous forme atomique, le mercure peut s’évaporer aisément. La vapeur de mercure Hg(g) est très toxique. Inhalée, elle se diffuse dans les poumons puis le sang. Elle franchit alors la barrière encéphalo-hématique et endommage le système nerveux central en se solubilisant en ion Hg2+. La forme ionique provoque de sévères lésions neurologiques (difficultés de concentration, vue et toucher perturbés, désorientations…).

Cette toxicité inquiéta fortement le corps médical, et l’usage de produits manufacturés contenant du mercure a ainsi chuté de 95% aux USA. Plus insidieux, les dentistes avaient autrefois recours à des plombages dentaires contenant des amalgames de mercure. Les cabinets dentaires rejetaient en moyenne 1 kg de déchets de mercure par an. De plus, le mercure atomique s’évapore aussi par effet de pression. Les patients risquaient alors de se contaminer par simple frottement des dents ! Aussi, même si la corrélation restait peu satisfaisante, de nombreux pays ont interdit les plombages aux amalgames de mercure.

Mercure et industrie minière

Utilisé depuis l’Antiquité, le mercure amalgame l’or et l’argent. Les particules ainsi formées sont plus denses et donc plus faciles à extraire des sédiments. Aussi l’industrie minière en a recours depuis plusieurs siècles. De 1570 à 1900, on estime que les mines d’argent d’Amérique du Sud et Centrale ont déversé dans la nature près de 20.000 tonnes de mercure.

L’industrie de l’or utilise également du mercure. Sa pratique est ainsi courante dans l’industrie chinoise. L’orpaillage brésilien ainsi que les filières clandestines ont recours à des apports excessifs de mercure (Hg:Au atteint le ratio de 15:1 !). On estime que 10% des émissions mondiales de mercure d’origine anthropique sont liées à l’orpaillage amazonien ! La pollution au mercure des fleuves amazoniens contamine toute la chaîne trophique, et en bout de chaîne les populations indigènes. Certaines populations locales inhalent jusqu’à 50 µg.m-3 , soit 50 fois la dose recommandée par l’OMS !

Mercure ionique et contamination géochimique

L’ion mercure ou mercurique Hg2+ (6s0 4f14 5d10) est la forme ionique majoritaire. Il précipite en présence d’ions sulfure S2- ou d’ions chlorures Cl, ce qui permet son élimination par précipitation dans les eaux usées. L’ion Hg22+ , forme ionique minoritaire, se combine avec le chlore en solide inorganique Hg2Cl2 , qui est moins toxique.

Sous la forme d’ion mercurique, le mercure se complexe en composé organométallique : le diméthylmercure Hg(CH3)2. Sa formation se produit dans les sédiments boueux des rivières et lacs via la flore microbienne anaérobie. L’agent biochimique responsable de cette biométhylation est le co-enzyme méthylcobalamine, présent chez ces micro-organismes.

La seconde forme organométallique est le méthylmercure (famille de composés de formule CH3HgX et CH3HgOH). Les composés diméthylmercure et méthylmercure se forment de manière générale dans tous les sédiments (lacustres ou marins), en présence de microflore anaérobie. L’acidification des eaux facilite la solubilité du mercure et sa méthylation. Le phénomène des pluies acides augmente donc ce risque chimique.

cycle du méthylmercure
Cycle du méthylmercure et dérivés dans le milieu aquatique

Les poissons se contaminent lorsque le mercure organométallique pénètre leur organisme à travers leurs ouïes. Puis il s’accumule dans les réseaux trophiques jusqu’au consommateur. La majeure partie du mercure bioaccumulé chez l’homme est donc sous forme de méthylmercure. Dans les poissons, le méthylmercure représente 80% des teneurs en mercure. Il est lié aux protéines, aussi il n’existe pas de processus de décontamination avant mise sur le marché.

Le méthylmercure est une toxine plus puissante que l’ion Hg2+ car elle est soluble dans les tissus lipidiques des animaux (bioaccumulation). La barrière hémato-encéphalique franchie, la toxicité principale se manifeste au niveau du système nerveux central. Dans le cerveau, le méthylmercure transformé en ion Hg2+ provoque des dégâts neurologiques. La contamination du poisson et des fruits de mer demeure variable selon l’espèce, cependant la bioaccumulation chez des espèces très consommées comme le thon soulève des inquiétudes de santé publique.

mercure
Species variations in mercury content (ppm). Source : BOI (2012), John Blanchard

La catastrophe de Minamata

Origines de la contamination

Entre 1932 à 1966, la compagnie pétrochimique Shin Nippon Chisso rejeta des métaux lourds, en particulier du mercure, dans la baie de Minamata, au Japon. L’industriel utilisait alors l’oxyde de mercure comme catalyseur pour la synthèse d’acétaldéhyde. Se complexant sous la forme de méthylmercure, ce métal lourd a empoisonné la chaîne alimentaire marine jusqu’aux étals des poissonniers.

Les habitants du village de Minamata ne tardèrent pas à développer de mystérieux symptômes, décrits dès 1949 sous le nom de « maladie de Minamata ». Les villageois présentaient une réduction du champ visuel, une altération de l’audition, des troubles de la sensibilité, de la parole, une perte de coordination des membres (ataxie), des convulsions et tremblements. Et enfin des malformations, retards de développements mentaux et enfants morts-nés pour les mères contaminées durant leur grossesse.

C’est en testant les chats du village que les autorités sanitaires constatent d’abord une intoxication au méthylmercure. En effet, les félins du port devenaient fous jusqu’à se noyer dans la mer. L’empoisonnement au méthylmercure des chats est alors relié aux symptômes de la maladie de Minamata. Les autorités japonaises reconnurent officiellement la maladie de Minamata en 1956. Elles dénombrent 900 décès liés au mercure de 1949 à 1965. A partir de 1966, un procédé industriel moins polluant a sensiblement réduit les rejets toxiques. Cependant, il faudra attendre 1977 pour que les boues contaminées soient traitées et stockées. L’entreprise Shin Nippon Chisso, reconnue coupable, a été condamnée à verser des indemnisations aux victimes. Mais le processus judiciaire prend des années.

De l’indemnisation à la Convention de Minamata

Le compromis signé en 1996 au terme d’une médiation de l’état japonais ne satisfait pas toutes les victimes. En 2009, les autorités japonaises dénombraient 2 265 victimes officielles. Mais plus de 13000 personnes ont été indemnisées et 25000 personnes sont encore en attente d’une décision. Ce qui rend très difficile d’estimer exactement le nombre de victimes de cette pollution au mercure sur plusieurs décennies.

Sur le plan international, la catastrophe de Minamata a inspiré une Convention éponyme. Ce traité international vise à protéger la santé humaine et l’environnement contre les effets néfastes du mercure. La Convention de Minamata rassemble entrée en vigueur le 16 août 2017. A l’heure actuelle, 110 Parties l’ont ratifiée, dont la France (Minamata 2019). En 2020, le film américain Minamata (2020) d’Andrew Levitas revient sur le reportage que réalisa le photojournaliste américain William Eugene Smith à Minamata au début des années 70. Il en tira la fameuse photographie du Bain de Tomoko, restée un symbole fort de la lutte contre les pollutions environnementales et de photographie contemporaine.

Emissions de mercure en France

Rappelons tout d’abord quelques chiffres au niveau mondial. Les centrales à charbon rejettent du Hg : 4.109 tonnes de charbon brûlés chaque année rejettent 800 tonnes de mercure, soit 40% des émissions globales. L’Asie est la plus importante source d’émissions atmosphériques, et la Chine est le plus grand consommateur mondial de charbon (47%). Les pays en voie de développement rejetant ce que les pays développés arrivent à réduire, les émissions mondiales se maintiennent. Mais la délocalisation industrielle pourrait bien déséquilibrer cette balance à l’avenir.

Le Protocole d’Aarhus sur les métaux lourds (1998) impose à la France de ne pas dépasser le niveau d’émission de mercure atteint en 1990, soit 25,6 tonnes / an. Sur la période 1990-2018, les émissions en France métropolitaine ont chuté de 88%. En France les émissions actuelles sont de 49 mg/hab./an (2018), soit deux fois moins que la moyenne européenne.

L’industrie manufacturière française est la principale source d’émission de mercure, notamment :

  • – La métallurgie des métaux ferreux (agglomération de minerai, fours de production d’acier) ;
  • – La chimie industrielle du chlore ;
  • – La filière des minerais non-métalliques, cimenteries et autres matériaux de construction ;
  • – Traitement des déchets par incinération.

Le secteur énergétique en rejette également via la convection thermique de l’incinération de déchets.

émission mercure en France
Emissions de mercure en France (sources : CITEPA, 2020)

Les raisons de cette baisse majeure sont la limitation d’emploi du mercure dans les produits manufacturés (usage réglementé depuis 1999), le tri des déchets, et l’optimisation des procédés de chimie industrielle. Comme rappelé en début d’article, cet élément est encore présent dans les ampoules à fluorescence (5-10 mg/ampoule) et dans les lampes à mercure d’éclairage urbain. Cet emploi exige donc des cycles de retraitement adaptés pour éviter une hausse des émissions du secteur tertiaire et résidentiel.

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