Le Pouillot à grands sourcils : nouveau migrateur occidental

Petit passereau de la famille des Silviidés et migrateur occasionnel en France, le Pouillot à grands sourcils (Phylloscopus inornatus) témoigne depuis quelques décennies d’un remarquable phénomène d’apparition d’une nouvelle route migratoire post-nuptiale. En effet, ce nicheur sibérien et nord-asiatique hiverne traditionnellement en Asie du sud-est, dans une bande couvrant le Bengladesh jusqu’à la Malaisie. Sa route migratoire contourne alors l’Himalaya par l’est, soit un périple de plus de 8000 km pour les nicheurs les plus occidentaux !

Pouillot à Grands Sourcils
Pouillot à grands sourcils. Ouessant, novembre 2017. Photographie : Guillaume Calu

Archives ornithologiques

Mais le nombre d’observations exponentielles d’oiseaux migrateurs en Europe occidentale suggère qu’une nouvelle route est apparue. En effet, cette voie alternative contournerait cette fois-ci l’Himalaya par l’ouest. Les ornithologues allemands rapportent dès 1923 les premiers passages en Europe occidentale. Elles sont suivies d’apparitions encore plus occidentales durant les années 1950-1970 au large de Cherbourg et en Grande-Bretagne. Ces oiseaux précurseurs seraient certainement descendus de Sibérie par la Scandinavie. Leur périple migratoire les aurait ainsi conduit à survoler la mer du Nord et la Manche jusqu’en mer d’Iroise. Ce que confirme la présence très occasionnelle mais régulière de l’oiseau migrateur sur l’île d’Ouessant à partir des années 80. Considéré alors comme accidentel sur notre territoire, 469 individus sont observés en l’espace d’une quinzaine d’années (1981 – 1995). Les archives signalent alors déjà quelques afflux importants en Bretagne (75 observations à Ouessant en 1988).

Pouillot à Grands Sourcils data 1
Figure 1 : nombre cumulé d’observations du Pouillot à grands sourcils (Phylloscopus inornatus) rapportées sur les sites faunes de cinq départements du grand ouest (22, 29, 35, 44, 56, 85) au cours de la période 2000-2019.

Des données d’observation en augmentation

Signalé majoritairement le long du littoral nord-ouest (seulement 12,4% des observations en France métropolitaine sont rapportées en-dehors de cette délimitation), il fait preuve d’une augmentation exponentielle des données depuis le début du 21ème siècle. Les chiffres disponibles sur le site Faune-France et ses déclinaisons régionales permettent ainsi de retracer les données fournies sur 6 départements littoraux (22, 35, 44, 56, 85). Au cours de la période suivie (2001 – 2018), les chiffres indiquent donc une forte hausse des observations terrain (figure 1).

L’évolution par régression non-paramétrique de la tendance observée (figure 2) suggère une augmentation régulière des individus choisissant un route migratoire occidentale. Ces données brutes n’excluent pas que le même individu ait pu être signalé à plusieurs reprises par différents observateurs. Elles ne se substituent pas non plus à des protocoles de suivi beaucoup plus précis, comme lors de sessions de capture et baguage.

Pouillot à Grands Sourcils data 2
Figure 2 : estimation par régression non-paramétrique de la tendance à la hausse des effectifs migrateurs de Pouillot à grands sourcils (Phylloscopus inornatus) rapportées sur les sites faunes de cinq départements du grand ouest (22, 29, 35, 44, 56, 85) au cours de la période 2000-2019.

Génétique des populations et migration aviaire

Ce phénomène demeurait pourtant anecdotique. Les oiseaux déroutés de leurs voies migratoires orientales avaient-ils d’ailleurs la moindre chance de survie hivernale ? La meilleure réponse à cette question demeure la hausse des observations lors des passages migratoires post-nuptiaux sur ces dernières années. Le taux d’accroissement des données françaises depuis le début des années 2000 se situe à +14,1 %. Un chiffre illustrant à lui seul la pérennité du phénomène. En effet, pour qu’une nouvelle route migratoire émerge, trois conditions sont requises. 1. le taux de survie et de reproduction des individus doit être positif ; 2. la voie doit mener à une zone d’hivernage avantageuse ; 3. le taux d’appariement entre ces oiseaux et les autres individus doit être génétiquement favorable.

L’apparition d’une nouvelle voie migratoire peut être déclenchée par mutation génétique. Tout d’abord, la route migratoire est un caractère inné. Il s’inscrit dans le patrimoine génétique des oiseaux et se transmet par hérédité. Cependant, en cas d’altération de cette transmission génétique, la sélection naturelle joue son rôle. Si cette mutation conduit à de mauvais itinéraires migratoires, l’individu meurt alors durant son périple sans avoir pu se reproduire. Mais si cette nouvelle route migratoire est un succès, l’oiseau transmettra peut-être à sa descendance cette nouvelle information génétique.

Une hypothèse génétique vérifiable sur le terrain ?

Pour le moment, les données manquent afin de mieux comprendre l’apparition de cette nouvelle route migratoire. Alors comment valider cette hypothèse ? D’année en année, la proportion d’adultes migrateurs occidentaux devrait augmenter. En effet, les individus de 1ère année qui survivent à la migration peuvent transmettre ce caractère à leurs descendants. Lors du baguage, déterminer l’âge-ratio des individus capturés par l’usure des rectrices semble une méthode fiable. Elle permet de connaître la proportion d’adultes dans le flux migratoire. Cependant, les données manquent encore pour effectuer une analyse statistique suffisamment robuste. Aussi peut-on constater sur certaines stations de baguage une tendance à la hausse du pourcentage d’adultes sur la décennie passée.

Considérons également les interconnexions entre le patrimoine génétique du Pouillot à grands sourcils et les facteurs environnementaux. La migration est un caractère inné. Mais le climat, l’état des habitats ou encore les activités humaines peut impacter les chances de succès d’un oiseau migrateur. Dans ce cas, l’écologie des zones d’hivernage des migrateurs occidentaux permettrait peut-être de répondre à ces questions. Or nous ne connaissons pas encore assez bien ces stations d’hivernage ! Tout au plus peut-on raisonnablement supposer qu’elles se situent en Afrique du Nord. Ces dernières années au Maroc, on compte une dizaine d’observations hivernales validées de Pouillots à grands sourcils. Ce qui reste insuffisant pour expliquer le destin de ces effectifs de migrateurs observées en Europe occidentale. Il est fort probable qu’à défaut de prospection suffisante, nous ne connaissions pas encore toutes les zones d’hivernage.

L’énigme des effectifs de PGS hivernaux

Si les ornithologues n’identifient pas encore assez clairement les zones d’hivernage de ces migrateurs occidentaux, la route migratoire depuis la Sibérie se dessine peu à peu. Une fois la mer d’Iroise franchie, les Pouillots à grands sourcils semblent survoler le Golfe de Gascogne en longeant des côtes françaises. La hausse des observations annuelles sur l’île d’Yeux pour la période suivie peut ainsi en témoigner. Les données ibériques semblent également suggérer un passage d’individus principalement le long du Portugal, avant de traverser le détroit de Gibraltar par son tenant atlantique.

Néanmoins, le réseau plus restreint d’observateurs ibériques explique le faible nombre de Pouillots à grands sourcils contactés. Nous sommes en effet assez éloignés du nombre de données françaises ou britanniques. D’année en année, l’apparition d’une nouvelle voie migratoire occidentale se dessine. Un chemin nouveau mène ce petit passereau de ses quartiers d’été sibériens jusqu’en Afrique. Mais de nombreuses interrogations demeurent encore. Notamment en ce qui concerne les facteurs génotypiques responsables de ce comportement migratoire. Qu’en sera-t-il de leur maintien en terme de génétique des populations ? Et quid de la route suivie par ces individus lors de la migration pré-nuptiale ?

Critères d’identification du PGS

La prospection du Pouillot à grands sourcils sur le terrain est donc indispensable afin de compléter les données migratoires actuelles. Ce petit Sylviidé visite les buissons des zones humides et côtières durant sa migration. Il se reconnaît ainsi à ses deux barres alaires claires et son sourcil crème. Le dessus de son plumage est vert jaunâtre à un peu olivâtre, le dessous blanchâtre. Son cri de contact, très distinctif, reste donc le critère le plus facile pour l’identifier. L’oiseau, loquace, se dissimule le plus souvent dans la végétation.

Bibliographie

Alerstam, T. Bird Migration Cambridge University Press (1990).

de Juana, E. (2008). Where do Pallas’s and Yellow-browed warblers (Phylloscopus proregulus, Ph. inornatus) go after visiting northwest europe in automn ? An iberian perspective. Ardeola 55(2), 179-192.

Géroudet, P. Les Passereaux d’Europe, tome 2. Editions Delachaux et Niestlé (édition 2010).

Sander, M.M.; Eccard, J.A.; Heim, W. (2017) Flight range estimation of migrant Yellow-browed Warblers Phylloscopus inornatus on the East Asian Flyway. Bird Study, 64:4, 569-572.

Thorup, K. (1998) Vagrancy of Yellow browed Warbler Phylloscopus inornatus and Pallas’s Warbler Ph. proregulus in northwest Europe: Misorientation on great circles ? Ringing & Migration, 19:1, 7-12.

Zucca, M. (2017). Evolution récente du statut du Pouillot à grands sourcils Phylloscopus inornatus en France. Ornithos, 24-4 ; 201-223.

Les commentaires sont clos.