Tirs dérogatoires de loups en France : quel effet sur les dommages aux troupeaux ?

Tirs dérogatoires de loups en France : quel effet sur les dommages aux troupeaux ? La revue Naturae a récemment publié un rapport sur la question (Grente et al., 2023). Cet article s’appuie notamment sur la thèse d’Oksana Grente (2021) sur l’étude de la déprédation du Loup gris sur le bétail dans les Alpes et l’impact de son contrôle létal. Un sujet qui fait encore débat en France faute d’études assez robustes.

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Présentation du suivi

Ce travail s’appuie sur les données de déprédation d’ovins collectées par l’administration entre 1994 et 2020, ainsi que les données de prélèvements de loups entre 2011 et 2020. Relier ces deux jeux de données pour y établir une corrélation est tentant mais trompeur. Car la corrélation ne renseigne pas sur les causalités mises en œuvre. Le nombre de tirs fait-il alors augmenter ou diminuer le nombre de cas de déprédations ? Ou bien est-ce l’inverse ? L’analyse fine des données permet d’apporter un nouvel éclairage.

En effet, la thèse d’Oksana Grente s’attarde sur une comparaison locale avant / après chaque tir dérogatoire. Ce qui permet, après analyses statistiques, de mieux identifier la causalité. Pour autant, la méthode n’est pas dénuée de biais liés à d’autres facteurs. Or il peut s’exercer des changements environnementaux ou pastoraux au cours des trois mois précédant ou succédant des tirs de loups. Et ces changements peuvent modifier les comportements de prédations de ce Canidé. Des données qui ne sont pas toujours disponibles !

Heureusement, ce travail a pu s’appuyer sur l’enquête pastorale de l’INRAe. Réalisé entre 2012 et 2014, ce travail recense la localisation et les dates de présence du bétail dans les Alpes françaises. Ce qui permet de mesurer la durée d’exposition des ovins à la déprédation. A partir de toutes ces données comparables, il apparaît qu’avant les tirs, le nombre d’attaques constatées se répartit de manière inégale dans l’espace pastoral. Après les tirs, le nombre d’attaques diminue dans un rayon de 0-2 km si plusieurs loups prélevés.

Une forte disparité des résultats obtenus

Seulement voilà, comme on pouvait s’y attendre, les résultats montrent aussi une forte disparité suivant les contextes. Zones géographiques, saisonnalité, modalités de tirs, c’est forcément multifactoriel et compliqué ! Bref, les effets des tirs de protection des troupeaux semblent très liés aux contextes de leurs mises en œuvre. Sachant que s’ajoute à cette variabilité les comportements de prédation des meutes.

Or nous savons que l’abondance des proies joue généralement un rôle dans les choix de prédation du loup. En Grèce par exemple, les loups se nourrissent presque exclusivement de bétail car la densité d’Ongulés sauvages y est faible (Petridou et al., 2019).

La sélection artificielle a pu faire perdre au bétail son comportement inné de crainte des prédateurs, en faisant une proie abondante et facile pour le loup. Il s’agit de travailler sur la vulnérabilité du bétail (bergers, chiens, clôtures, etc.); déjà mené dans les Alpes. L’idée serait donc d’éviter l’embroussaillement des surfaces pastorales (propices aux attaques surprises de loups), d’appliquer les mesures de protection et de renforcer par des tirs sporadiques de loups, tout ceci pour réduire la pression de déprédation.

Des tirs qui augmentent les déprédations ?

Cependant, demeure le cas épineux des tirs de régulation qui ont pu mener à une hausse des cas de déprédation ! Comment les expliquer ? D’autres variables sont probablement à l’œuvre. Augmentation des besoins alimentaires de la meute (surtout en période de dépendance des louveteaux), perturbation et dislocation des meutes … Ces hypothèses sont d’autant plus intéressantes à aborder ici qu’elles sont étayées de liens bibliographiques dans cet article.

Ainsi les tirs sur une louve reproductrice peuvent conduire plusieurs femelles de sa meute à se reproduire par « opportunité ». Ce qui aura pour conséquence d’augmenter in fine la déprédation (Ausband et al., 2017). La dislocation des meutes, phénomène étudié par les chercheurs nord-américains, pourrait expliquer les effets surprenants de « vases communicants » . C’est à dire un report de déprédation d’une vallée à tirs de régulation sur une autre sans tirs (Brainerd et al., 2010).

Limites et discussion

Or pour le moment, les travaux de thèse d’Oksana Grente ne permettent pas d’explorer ces hypothèses, faute de données suffisamment nombreuses. Ce sont là aussi les limites de la démarche scientifique, et les besoins de poursuivre ces travaux sur le terrain. La thèse de Grente (2021) a montré que l’effet des tirs dérogatoires de loups sur la déprédation des troupeaux d’ovins semble dépendre à la fois de la localisation, de la saisonnalité, mais aussi du nombre de loups tués par sessions de régulation.

Enfin, de nombreuses autres variables viennent compliquer l’établissement d’une causalité simple entre tirs de protection et déprédation du loup sur les troupeaux d’ovins. Comment concevoir ces résultats dans un contexte de gestion pastorale ? Probablement en utilisant ces avancées statistiques pour bâtir des modèles locaux. Et ainsi s’appuyer sur le travail de cartographie des foyers de déprédation. Un outil plus efficace qu’une simple corrélation globale et risquée (Grente et al., 2022).

Conclusion

Au final, les tirs de loups en France génèrent beaucoup d’incertitudes et de données encore manquantes. Mais des pistes d’amélioration des mesures de protection émergent cependant. Et ceci grâce à l’outil de cartographie statistique prenant compte des variations locales et saisonnières. Ce n’est pas forcément la réponse simple et claire que beaucoup attendent de cette étude. Cependant elle montre tout de même que les tirs de protection en complément des mesures de protection ne peuvent être efficaces qu’en augmentant notre compréhension des facteurs impliqués. Il va de soit que la poursuite de ces travaux est évidemment plus que nécessaire tant, une fois encore, la question de l’outil des tirs dérogatoires de loups en France est soumise à des réflexions multifactorielles complexes !

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