La Perdrix rouge est-elle menacée par la pollution génétique ?

La Perdrix rouge (Alectoris rufa) fait partie des grandes stars du gibier à plumes. Sa notoriété n’est plus à démontrer auprès des chasseurs comme des gourmets européens. Mais pour autant, le déclin local de ce Phasianidé a conduit à la réintroduction d’individus d’élevage, parfois issus d’hybridations avec la Perdrix choukar (Alectoris chukar). Or cette introduction d’individus hybrides ne fut pas sans conséquence sur la biodiversité génétique de l’espèce, aussi certains chercheurs évoquent une pollution génétique de l’espèce. Mais jusqu’à quel point cette contamination peut-elle porter préjudice aux populations de Perdrix rouges ? Le séquençage récent du génome d’individus italiens (Chattopadhyay et al., 2021) pourrait bien apporter de nouvelles réponses, d’autant que l’avenir de la Perdrix rouge européenne demeure encore incertain.

perdrix rouge
Perdrix rouge – Photographie par Guillaume Calu

La Perdrix rouge, une espèce en danger ?

Les statuts UICN de la Perdrix rouge ne sont guère réjouissants. L’espèce est classée quasi-menacée (NT) en France comme en Europe par l’UICN. Ses effectifs mondiaux ont même décliné de plus de 95 % depuis les années 1980 (Aebischer & Lucio, 1997). Mais comment expliquer une telle hécatombe ? La Perdrix rouge subit de plein fouet les transformations de ses habitats traditionnels. Espèce inféodée aux milieux ouverts et prairiaux, elle souffre tout particulièrement de l’agriculture mécanisée, de l’intensification des pratiques, des pesticides (notamment les semences enrobées) et de la déprise agricole. Plus récemment, le spectre des épizooties chroniques menace les populations de Perdrix. Citons pour exemple les infections aux virus Bagaza, dont le taux de mortalité estimé entre 23-30% des individus contaminés ne peut qu’accentuer le déclin local des Perdrix rouges (Queirós et al., 2022).

D’une importance socio-économique considérable, la Perdrix rouge est un gibier à plumes fortement géré en Europe du Sud-Ouest (France, Italie, Péninsule ibérique). Dans ces régions, les opérations de repeuplement consistaient alors à relâcher massivement des hybrides d’élevage obtenus par croisements avec la Perdrix choukar (Forcina et al., 2021). En Italie (Barbanera et al., 2005), les agriculteurs furent même incités à relâcher des hybrides afin de proposer un plus beau gibier et une viande de meilleure qualité !

Ces pratiques hybrides ont ainsi provoqué une introgression génétique à grande échelle. C’est à dire un flux de gènes issu de la Perdrix choukar et se propageant génération après génération chez la Perdrix rouge. Cependant, les conséquences de cette pollution génétique dépendent de la valeur sélective dans l’environnement ou « fitness » des individus hybrides. A l’état naturel, la Perdrix rouge et la Perdrix choukar sont deux espèces allopatriques, c’est à dire qui ne coexistent pas sur les mêmes aires géographiques (mis à part quelques rares secteurs italiens et croates). Nous pourrions penser qu’elles ne sont pas concernées par la pression sélective d’hybrides lorsque deux espèces suffisamment proches coexistent. Cependant, les relâchers d’hybrides fertiles d’élevage génèrent pour les populations autochtones une situation presque similaire.

A tel point que certains généticiens parlent désormais d’une « extinction génétique virtuelle » de certaines sous-espèces, dont la nominale Alectoris r. rufa originaire de France et d’Italie (Barbanera et al., 2005) ! Mais pour quelle raison ? Tout semplement parce que si la valeur sélective ou « fitness » des hybrides est forte, alors les deux espèces finiront par n’en former plus qu’une seule. La situation n’est donc pas forcément meilleure si la valeur sélective est faible. Alors l’hybridation devient un piège reproducteur, abaissant les chances de survie des espèces originelles (Irwin & Schluter, 2022). De plus, le changement climatique actuel peut accentuer le facteur d’hybridation (Muhlfeld et al., 2014) tout en ayant effet délétère sur le succès reproductif de l’espèce autochtone. Un cocktail potentiellement alors dévastateur pour les populations autochtones de Perdrix rouges.

Le séquençage du génome de la Perdrix rouge

Mais afin de mesurer l’ampleur de cette pollution génétique, encore faut-il disposer de données probantes et d’outils efficaces. Heureusement, la publication récente du génome de la Perdrix rouge (Chattopadhyay et al., 2021) ouvre ainsi la voie à de nouvelles perspectives d’analyses génétiques. Commençons par rappeler quelques bases de biologie moléculaire. En effet, tous les êtres vivants possèdent une information génétique nécessaire au fonctionnement de leurs cellules. Ces données biologiques sont conservée sous la forme de molécules d’ADN (acide désoxyribonucléique) appelées chromosomes.

Cet ADN se présente comme un long collier de perles de nucléotides. Ils sont au nombre de quatre : A, T, G et C. L’enchaînement répété de nucléotides forme l’information génotypique, que la cellule exprime comme phénotype grâce au code génétique universel. L’ensemble de ce matériel génétique propre à chaque organisme constitue son génome. Si la première publication du génome humain en 2000 avait fortement médiatisé la génomique, cette discipline a depuis énormément progressé, multipliant les séquençages de génomes d’autres organismes vivants et développant des techniques innovantes qui réduisent considérablement les coûts et les délais nécessaires.

Les premiers résultats de ces études génomiques sont d’ores et déjà disponibles. En utilisant des marqueurs génétiques spécifiques aux séquences d’ADN de Perdrix choukar, Forcina et al. (2021) ont montré que l’identité génétique de la Perdrix rouge continentale a été irrémédiablement altérée par ces hybridations d’élevage. Certes, dans l’ensemble le degré et l’étendue des introgressions sont beaucoup plus limités que ce qui a pu être suggéré par le passé. Néanmoins, quasiment toutes les populations continentales d’Europe de l’Ouest sont concernées, à l’exception des populations corses et du Nord-Ouest de l’Espagne. Dans le cas de la Perdrix de Corse, si cette dernière conserve un bon état génétique, c’est notamment en raison d’une gestion autosuffisante depuis l’introduction de l’espèce sur l’île de beauté voici 1400 ans, et fort heureusement très peu de lâchers d’oiseaux continentaux.

Au contraire, certaines populations « génétiquement contaminées » déjà connues comme modèles d’étude s’en sortent mieux au fil des années. C’est le cas de la Perdrix rouge de l’île d’Elbe, dont la présence d’introgressions d’ADN mitochondrienne de Perdrix choukar avait été mise en évidence par Forcina et al. (2020). Une situation pour le moins préoccupante alors que cette population était considérée comme génétiquement « pure » jusqu’alors. A l’origine de cette contamination, des lâchers d’oiseaux d’élevage provenant d’Espagne. Mais de manière surprenante, l’intégrité génomique reste élevée chez ces Perdrix malgré l’introgression « rampante » au sein de la population. Une hypothèse avancée par les chercheurs : les introgressions de gènes de Perdrix choukar seraient limitées par des forces sélectives négatives, comme une moindre compétitivité des individus hybrides au sein de certaines populations (Tanini et al., 2022). L’hypothèse est crédible, car déjà avancée concernant les introgressions chez la Perdrix bartavelle (Randi & Bernard-Laurent, 1999).

Un récit génomique de la Perdrix rouge

Grâce au séquençage génomique, les biologistes disposent d’une banque de données génétiques brute. Son analyse renseigne même sur le passé génétique de la Perdrix rouge. Les chercheurs démontrent ainsi que son déclin actuel n’est pas son premier ! En effet, l’espèce aurait déjà connu un effondrement démographique voici 140.000 ans lors de la période interglaciaire Riss-Würm (Forcina, 2022). Avec la hausse des températures, les surfaces forestières augmentèrent alors au détriment des habitats ouverts herbacés, domaine de prédilection des Perdrix. Cet effondrement des populations provoqua une perte de diversité génétique dont notre chère Perdrix rouge ne s’est toujours pas remise. Un enseignement génomique qui donne à réfléchir, alors que certains voudraient ensauvager les milieux naturels et encourager le couvert forestier plutôt que de favoriser des pratiques agricoles compatibles avec la biodiversité.

Ces résultats génomiques démontrent une situation moins catastrophique que supposé, mais ne doivent pas pour autant minimiser la pollution génétique insidieuse chez les Perdrix rouges continentales. Bien au contraire, ces nouveaux outils permettent une meilleure mise en perspective de l’état de conservation des populations locales. L’apport de la génomique se révèle donc un allié précieux pour le gestionnaire local, et nul doute que cet outil saura inspirer les fédérations de chasse dans leur prise en compte de la Perdrix. Cependant, une seule population représentative de la Perdrix rouge bénéficie pour le moment du séquençage de son génome. Gageons que si l’opération est reproduite pour d’autres spécimens, alors cette espèce emblématique nous livrera tous ses autres secrets génétiques.

Bibliographie

Aebischer, N.J. ; Lucio, A. (1997). « Alectoris rufa, redlegged partridge ». In : The EBCC atlas of European breeding birds. Their distribution and abundance (eds Hagemeijer WJM, Blair MJ), pp. 208-209. London, UK: T & AD Poyser.

Barbanera, F.; Negro, J.J.; Di Giuseppe, G.; Bertoncini, F.; Cappelli, F.; Dini, F. (2005). Analysis of the genetic structure of red-legged partridge (Alectoris rufa, Galliformes) populations by means of mitochondrial DNA and RAPD markers: a study from central Italy. Biological Conservation, 122(2), p. 275-287.

Chattopadhyay, B.; Forcina, G.; Garg, K.M.; Irestedt, M.; Guerrini, M.; Barbanera, F.; Rheindt, F. E. (2021). Novel genome reveals susceptibility of popular gamebird, the red-legged partridge (Alectoris rufa, Phasianidae), to climate change. Genomics, 113(5), p. 3420-3438.

Forcina, G.; Guerrini, M.; Barbanera, F. (2020). Non-native and hybrid in a changing environment: conservation perspectives for the last Italian red-legged partridge (Alectoris rufa) population with long natural history. Zoology, 138, https://doi.org/10.1016/j.zool.2019.125740

Forcina, G.; Tang, Q.; Guerrini, M.; Rheindt, F.E.; Barbanera, F. (2021). Genome-wide markers redeem the lost identity of a heavily managed gamebird. Proceedings of the Royal Society B, 288(1947). https://doi.org/10.1098/rspb.2021.0285

Forcina, G. « Revealing the Redleg’s Secrets« . British Ornithologists’ Union, 22 décembre 2022. [En Ligne]

Irwin, D.; Schluter, D. (2022). Hybridization and the Coexistence of Species. The American Naturalist, 200(3). https://doi.org/10.1086/720365

Queirós, J.; Barros, S.C.; Sánchez-Cano, A. et al. (2022). Bagaza Virus in Wild Birds, Portugal, 2021. Emerging Infectious Diseases, 28(7), p. 1504-1506.

Muhlfeld, C.C.; Kovach, R.P.; Jones, L.A.; Al-Chokhachy, R.; Boyer, M.C.; Leary, R.F.; Lowe, W.H.; Luikart, G.; Allendorf, F.W. (2014). Invasive hybridization in a threatened species is accelerated by climate change. Nature CLimate Change, 4, p. 620-624.

Randi, E.; Bernard-Laurent, A. (1999). Population Genetics of a Hybrid Zone between the Red-Legged Partridge and Rock Partridge. The Auk, 116(2), p. 324-337.

Tanini, D.; Guerrini, M.; Vannini, C.; Barbanera, F. (2022). Unexpected genetic integrity boosts hope for the conservation of the red-legged partridge (Alectoris rufa, Galliformes) in Italy. Zoology, 155. https://doi.org/10.1016/j.zool.2022.126056

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