Origines et facteurs d’explosion démographique du Sanglier en France

L’explosion démographique du Sanglier d’Europe (Sus scrofa) agite régulièrement les discussions. Et pour cause, ce Suidé autochtone est désormais considéré comme une espèce envahissante. Ses impacts sur les cultures ainsi que sa présence croissante dans les milieux semi-urbains interrogent sur les facteurs explicatifs de son explosion démographique. Le très bon livre de Raphaël Mathevet et Roméo Bondon, « Sangliers, géographies d’un animal politique » poursuit cette réflexion. Le journal du CNRS nous en livrait récemment une présentation par l’intermédiaire d’une interview. Dans cet article, je vous propose de revenir plus longuement sur les facteurs actuels de prolifération des Suidés.

explosion démographique sanglier
La chasse de Méléagre et d’Atalante – Peter Paul Rubens (1577–1640)

Une histoire simplifiée de la France moderne rurale

Commençons par un bref rappel historique. Sous le Premier Empire et jusqu’au milieu du XIXème siècle, les campagnes sont alors considérées comme surpeuplées (Fabre, 2017). Conséquence de l’exploitation intensive des surfaces agricoles disponibles, la surface forestière connaît en 1820 son minimum historique avec seulement 12% du territoire boisé. Une couverture forestière faible qui désavantage les Ongulés, privés de leur habitat de prédilection. « Jamais il n’y a eu moins de chevreuils, de cerfs et de sangliers » déplorent les naturalistes sous Napoléon (Marc, 1811).

Sangliers et chevreuils sont cependant rares et localisés. Les Cerfs élaphes manquent même de disparaître. Les Chamois sont repoussés toujours plus haut dans les montagnes (Fabre, 2017). Le nouveau Code Forestier de 1827 impose de nombreuses restrictions à l’exploitation des forêts. Le défrichement devra faire l’objet d’une autorisation. Le pâturage forestier est interdit. L’industrie abandonne progressivement le bois de chauffage au pour la houille.

La tendance s’inverse, la couverture forestière amorce une lente reconquête. Ces mesures de protection s’accompagnent aussi de politiques ambitieuses de reboisement. Sous le Second Empire, les Landes de Gascogne se couvrent alors de pins maritimes. En montagne, de vastes plans d’aménagement du territoire privilégient aussi les surfaces boisées afin de lutter contre l’érosion.

15 00 ans d'histoire forestière

La disparition du Loup gris au cours du XIXème et du XXème siècle en France

Le loup est également un prédateur du sanglier. Or en France durant le XIXème siècle, les différents régimes politiques marquent la volonté d’éradiquer le Loup gris du territoire métropolitain. Les préfets, qui ont autorité pour nommer les lieutenants de louveterie, encouragent la mise en place de battues. La simplification de la vente de poudre à fusil sous contrôle de l’état et les primes administratives pour chaque animal tué sont autant de mesures de destruction organisée (Fabre, 2017).

Pour autant, la cascade trophique liée à la disparition du loup en France a-t-elle eu des effets notables sur les populations d’Ongulés ? Contre toute attente, il est assez difficile de le savoir, puisqu’elle s’accompagne en parallèle d’une mutation profonde du paysage rural. Nous l’avons vu, les forêts connaissent un minimum de surface au cours du XIXème siècle, mais vont s’étendre à nouveau alors que le Loup disparaît. Lequel des deux facteurs fut au final le plus favorable aux populations d’Ongulés ? C’est la grande question.

Le déclin du monde rural

Durant la seconde moitié du XIXème siècle, le monde rural va également connaître un exode massif alors que les villes industrielles sont en pleine croissance. L’amélioration des pratiques agricoles libère aussi des surfaces cultivées. La déprise agricole s’accompagne souvent d’une reconversion en parcelles sylvicoles. Comme dans les Landes, les essences d’arbres sont choisies selon les nécessités économiques. La surface forestière française grandit alors que les derniers loups sont éliminés du territoire. Nous avons là deux facteurs historiques favorables à la hausse des populations d’Ongulés.

La perte des milieux ouverts fréquentés par l’homme, la hausse des couverts forestiers et la disparition des meutes de loup conduit à l’explosion démographique des Suidés. Aussi, il n’est pas étonnant que dès la fin du XIXème siècle, les premiers cas de dégâts de cultures provoqués par des Sangliers. Une nuisance agricole alors presque inédite pour l’époque (Fabre, 2017). Chose encore moins connue, mais la désertification des campagnes suite à la Grande guerre va même accélérer le phénomène durant l’entre-deux-guerres (Hugues, 1932).

Le repeuplement cynégétique

La hausse des effectifs de sangliers en France s’accompagne également de campagnes de repeuplements cynégétiques dès les années 1960. Après guerre, le nombre de chasseurs augmente fortement. Ce loisir rural fort populaire dépasse après guerre les 2 millions de pratiquants ! Mais le petit gibier est alors en déclin, notamment le lapin victime de l’introduction volontaire de la myxomatose en France. Il faut donc se rabatttre sur d’autres gibiers. Le sanglier fait alors l’objet de lâchers cynégétiques. L’Arrêté du 28 février 1962 laissait ainsi liberté aux chasseurs pour repeupler les populations sauvages de grands gibiers.

Une tradition cynégétique de conservation du grand gibier s’instaure alors. Les agrainages se multiplient dans un but de concentration et de reproduction du gibier. Les consignes de tir visent à préserver la ressource cynégétique (Mathevet & Bondon, 2022). Mais cette liberté d’action n’est pas sans favoriser de mauvaises pratiques, comme l’élevage d’hybrides. Le croisement avec une truie est génétiquement possible, et permet d’obtenir des portées de « cochongliers » parfois doubles par rapport à une laie. Les populations françaises conservent des indicateurs génétiques d’introgressions, preuves d’hybridations passées entre cochons domestiques et sangliers.

Une nouvelle réglementation limite le repeuplement cynégétique

Avec l’Arrêté du 8 octobre 1982, l’état décide de mettre un terme aux pratiques libres et dérives locales en la matière. L’élevage de sangliers est désormais réservé aux seuls professionnels. Puis en 1989, le relâcher des animaux susceptibles d’occasionner des dégâts fut soumis à autorisation individuelle du préfet (Art. R227-26 du Code rural).

Ce texte sera abrogé en 2003 suite à son transfert dans le Code de l’Environnement, sa version aujourd’hui en vigueur n’est autre que l’Article R427-26 du C.E. Il fut modifié à deux reprises. En 2018 le terme d’animaux « nuisibles » replacé par « susceptibles d’occasionner des dégâts ». En 2022, il est désormais précisé que tout lâcher de sanglier est interdit, exception des terrains clos d’établissements de chasse commerciale.

Les repeuplements cynégétiques libres entre les années 60 à 80 furent donc une réalité sur le terrain, jusqu’à la professionnalisation des élevages en 1982 et l’interdiction des lâchers libres hors enclos en 1989. Ces opérations passées dans un but cynégétique de loisirs ont toutefois permis d’établir des populations initiales dans de nombreux départements, qui sont désormais suivies par les plans de chasse annuels. Cependant, les populations d’Ongulés connaissent depuis lors une hausse spectaculaire de leurs effectifs, liés à divers facteurs pour certains apparus au cours des dernières décennies.

Une prolifération aux causes multifactorielles

Les raisons multifactorielles demeurent complexes, notamment pour le sanglier (Mathevet & Bondon, 2022). Mais soulignons trois facteurs-clés : les conditions météorologiques, les paysages agricoles intensifs et enfin la pression anthropique (Tack, 2018).

  • Le premier facteur rappelle que des hivers doux favorisent les dynamiques des populations, situation d’autant plus propice en cette période de réchauffement climatique.
  • Le second facteur est lié aux remembrements agricoles. Les grandes cultures céréalières opèrent comme des lieux de transit « à couverts prairiaux » où les sangliers trouvent refuge et nourriture entre deux habitats forestiers.
  • Le troisième facteur est lié à la pression anthropique sur l’environnement. Nos activités de loisirs en zone forestière sont synonymes de dérangement et de repli des compagnies de sangliers vers des zones agricoles de quiétude.

Si cet article dresse un tableau historique et écologique de la prolifération du sanglier en France, il survole volontairement d’autres facteurs qui mériteraient discussion approfondie, comme l’évolution des ressources alimentaires en forêt pour le sanglier.

La chasse et le Sanglier

Les pressions cynégétiques peuvent aussi favoriser un plus fort taux de croissance des populations. Mais l’étalement urbain offre aussi aux Suidés de nouveaux habitats propices, notamment en zones semi-urbaines ou résidentielles. En Europe, les populations de sangliers ont ainsi connu deux grandes phases récentes de croissances. D’abord entre 1960 et 1970, avant de se stabiliser en 1980, puis de repartir actuellement à la hausse. Les facteurs favorables à l’espèce sont bien connus : hivers doux, reforestation, production céréalière intensive, ressources alimentaires nouvelles au contact de l’homme, et fort taux de croissance en réponse notamment à la pression cynégétique (Massei et al., 2014).

Alors que le nombre de chasseurs décroît en Europe, les populations de sangliers augmentent. Force est de constater que l’évolution de la situation n’est clairement pas favorable.

Références bibliographiques

Fabre, E. (2017) La destruction des loups au XIXe siècle. La technique, l’État et les milieux naturels en France. Revue d’histoire du XIXe siècle, 54, p. 81-94.

Huges, A. (1932). « Les invasions de sangliers dans le Midi de la France », Bulletin de la Société nationale d’acclimatation, 10, p. 1-13.

Marc, J.A. (1811). « Pêche et chasse ». Bibliothèque des propriétaires ruraux ou journal d’économie rurale et domestique, p. 103.

Massei, G. et al. (2014). Wild boar populations up, numbers of hunters down ? A review of trends and implications for Europe. Pest Management Science, 71(4).

Mathevet, R.; Bondon, R. (2022). Sangliers, géographies d’un animal politique. Actes Sud, coll. « Mondes sauvages », 208 p.

Tack, J. (2018). Les populations de sangliers (Sus scrofa) en Europe. Examen scientifique de l’évolution des populations et des conséquences sur leur gestion. European Landowner’s Organization, Bruxelles, 56 p.

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