Les origines de la myxomatose en France

D’où provient la myxomatose en France, cette maladie virale qui décima les Lapins de garenne après guerre ? Très probablement d’une expérience personnelle menée par le Pr. Paul-Félix Armand-Delille sur son domaine privé. Mais revenons sur cette terrible histoire d’introduction incontrôlée d’une souche virale qui faillit exterminer les populations de Lapins.

Portrait d’un grand médecin français

Le Professeur Paul-Félix Armand-Delille est un médecin et bactériologue qui se fit connaître après la première guerre mondiale pour ses travaux sur le paludisme. Il fut d’ailleurs fait commandeur de la Légion d’honneur pour sa contribution médicale aux troupes coloniales. Après une brillante carrière, cet ancien de la faculté de médecine de Paris continua de soigner ses patients. Il était d’ailleurs réputé pour sa spécialisation dans les maladies infectieuses chez les enfants.

Une fois à la retraite, le Professeur Armand-Delille s’intéressa entre aux méthodes de lutte microbiologique contre les espèces invasives. En 1952, il apprit dans la presse spécialisée que le Lapin de garenne, espèce exotique invasive en Australie où il ravage les écosystèmes autochtones, est alors efficacement combattu grâce à l’introduction d’un Poxvirus, le Myxoma virus.

Quelques années plus tard, les Lapins de garenne australiens présentant un phénotype résistant au Myxoma virus ont fini par être sélectionnés, et leurs effectifs sont repartis en flèche. Mais dans cet article de 1952, la remédiation écologique par lutte virale est alors décrite comme un franc succès ! Le Lapin de garenne était alors un gibier très abondant en France, mais aussi responsable de dégâts agricoles chroniques. En juin 1952, Armand-Delille décida de reproduire l’expérience australienne dans son domaine de Maillebois qu’il juge un peu trop infesté de lapins.

Une expérience dangereuse au domaine de Maillebois

Armand-Delille ne procéda pas pour autant sans protocole. Il évalua d’abord que le domaine est suffisamment clos pour que la population de lapins qui détériore ses jardins soit isolée de l’extérieur. Une fois ces précautions prises, il débuta son expérience. Il acquit une souche virale auprès d’un laboratoire de Lausanne, inocula deux lapins et les libéra dans sa propriété. Il obtint 98 % de mortalité en seulement six semaines.

Notre Professeur dut alors estimer que l’expérience était un franc succès ! Mais quatre mois plus tard, un Lapin de garenne présentant les signes de la myxomatose est retrouvé mort à 50 km de Maillebois. Au bout d’un an en France, on estime la mortalité chez les Lapins sauvages à 45 % et celle des Lapins domestiques à 35 %. L’erreur de Armand-Delille fut probablement d’avoir sous-estimé les corridors écologiques possibles entre son domaine et la campagne environnante. Une faille existait bien dans l’enceinte de sa propriété. Toujours est-il qu’en quatre ans, les tableaux de chasse du lapin de garenne s’effondrent de 98 %.

Adoubé par certains, honni par d’autres

Dès l’année 1953, la polémique éclate autour du Professeur et de son « expérience privée ». Elle enfle dans la presse, et son fils prend notamment la défense de son père dans Le Monde (23/07/1953). L’affaire finira même devant les tribunaux. En janvier 1955, le Professeur sera condamné à une amende de 5 000 francs.

Mais si l’expérience provoque la colère du monde cynégétique, Armand-Delille est encensé chez les forestiers et agriculteurs ! En juin 1956, il reçoit une médaille d’or des mains de Bernard Dufay, directeur général honoraire des Eaux et Forêts. Une belle ironie, la médaille était gravée pile de son portrait, face d’un lapin mort.

Conclusion

La myxomatose poursuit son petit bonhomme de chemin en Europe. Elle continue de sévir sur nos populations de Lagomorphes ; la sensibilité des espèces varie face à la menace virale. Conséquence écologique de son introduction, la baisse de population des lapins en Espagne a contribué au déclin du Lynx ibérique. La situation s’améliorant aujourd’hui après de gros efforts de restauration écologique des milieux.

Notons également que sur le plan cynégétique, l’effondrement du lapin de garenne a eu d’énormes répercussions. La régression ce petit gibier populaire a entraîné un report sur d’autres petits gibiers. Mais entraîna aussi de vastes plans de réintroduction du grand gibier. Le Professeur Armand-Delille était très certainement de bonne foi en tentant son expérience privée. Mais l’inoculation de la myxomatose dans son domaine demeure un exemple de déséquilibre des écosystèmes par introduction d’agent biologique exotique.

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