Quel impact des pesticides sur la biodiversité du sol ? Alors que l’intensification des pratiques agricoles interroge sur le déclin des Insectes et des oiseaux, une récente méta-analyse européenne souligne les effets des pesticides sur la faune du sol.
Les Invertébrés du sol représentent une part significative de la biodiversité et jouent un rôle crucial dans le maintient fonctionnel des agroécosystèmes. Or les pesticides menacent pour cette biodiversité, notamment le lombric, espèce-sentinelle (Pelosi et al., 2021). Bien que les initiatives pour réduire l’usage de pesticides se multiplient comme dans l’Union Européenne, la consommation globale de pesticides ne cesse d’augmenter, alimentant les inquiétudes sur une intensification globale des pratiques agricoles (Sharma et al., 2019).
Or les organismes du sol représentent à eux seuls le quart de la biodiversité spécifique globale ! Ce sont d’importants acteurs en terme de services écosystémiques et leur rôle dans le maintien d’agroécosystèmes résilients est incontournable (Bardgett & Putten, 2014). En d’autres termes, la biodiversité spécifique du sol se relie à la qualité et à la fertilité du sol. Ce qui revient à écrire que des sols dans un bon état écosystémique sont cruciaux pour l’agriculture et donc pour l’humanité (Wall et al., 2015).
Un effet délétère sur la biodiversité du sol
La méta-analyse de Gunstone et al. (2021) avait déjà souligné les effets largement négatifs des pesticides sur 275 taxons différents d’invertébrés du sol, notant l’impact délétère (70,5% des paramètres) de ces substances actives sur la faune du sol. Cette fois-ci, la méta-analyse publiée le 7 juin dernier par Beaumelle et al. (2023) dans la revue « Journal of Applied Ecology » s’intéresse à l’impact des pesticides à l’échelle des communautés d’organismes du sol.
En écologie, la notion de communauté concerne un ensemble d’organismes appartenant à des populations d’espèces différentes mais constituant entre-elles un réseau d’interactions interspécifiques au sein des écosystèmes. Cette récente méta-analyse s’appuie sur 54 études et 294 observations différentes. Les chercheurs ont collecté à chaque fois les indices d’abondance, de richesse spécifique et de biomasse de la faune du sol, ainsi que le type et l’intensité d’utilisation des pesticides.
Pour estimer « la taille de l’effet » des pesticides sur les communautés de la faune du sol, les chercheurs ont utilisé comme métrique le g de Hedges, couramment utilisé en écologie pour mettre en évidence une différence statistique entre deux groupes. Ce n’est bien entendu qu’une part des différents paramètres et ajustements statistiques de cette méta-analyse. Mais ceci permet de rappeler que leur travail ne se limite pas à une simple lecture d’articles bibliographiques. L’effet moyen rapporté par la métrique g de Hedge = −0,30 ± 0,16. Le résultat reste statistiquement « petit », mais l’interpréter tel quel serait trompeur, car il moyenne l’ensemble des effets de tous les pesticides sur la faune du sol. Et c’est assez hétérogène !
L’effet « cocktail » des pesticides sur la faune du sol
Les substances multiples ou à large spectre réduisent l’abondance et la diversité de la faune du sol. De même, les insecticides abaissent considérablement la diversité de la faune du sol. Tandis qu’à contrario les herbicides et fongicides ont peu ou pas d’effets. Les pesticides aux effets les plus néfastes ciblent un large éventail d’organismes, soit par l’application d’une seule substance à large spectre, soit par l’application simultanée de plusieurs substances ou tout au long de la saison des cultures.
Aussi, ces résultats supposent de potentiels effets additifs ou synergiques étendus de plusieurs pesticides. Tout comme le montre l’effet combiné négativement significatif de plusieurs substances dans diverses études citées par cette méta-analyse. Mais ce résultat statistique nécessiterait, de l’avis des auteurs, plus d’analyse détaillée. Il est toutefois en accord avec le risque d’effet « cocktail » de différents pesticides sur les invertébrés du sol (Panico et al., 2022).
De nombreuses communautés d’Invertébrés du sol impactées par les pesticides
Enfin, notons que les effets négatifs des pesticides sur cette faune du sol persistent à des doses plus faibles et sur des périodes plus longues. Des corrélations négatives apparaissant à moyen et long terme lors des analyses statistique. Beaumelle et al. (2023) notent également un effet globalement négatif de l’exposition aux pesticides sur les communautés faunistiques du sol quelle que soit la taille de l’organisme, et selon que ces Invertébrés possèdent un exosquelette ou non.
Il n’y a donc aucune preuve que la taille corporelle des Invertébrés et la caractéristique morphologique d’un exosquelette absent ou présent chez un taxon puisse moduler de manière significative la réponse des communautés de la faune du sol aux pesticides. Mais encore, de nombreux types de communautés de faune du sol sont affectés par l’utilisation de pesticides, laissant entendre que ces substances actives pourraient menacer un encore plus large éventail de taxons faunistiques du sol !
Notons enfin que les résultats suggèrent que les différents types d’usages de pesticides peuvent influencer les communautés faunistiques du sol, indépendamment de la taille corporelle ou de la présence d’un exosquelette.
Conclusion
Il n’en reste pas moins que les études abordant des conséquences plus fines sur les interactions interspécifiques et réseaux trophiques au sein des écosystèmes du sol font encore défaut, de l’aveu même des auteurs. L’écotoxicologie plus spécifique de certains taxons aussi. Néanmoins et tout en gardant à l’esprit les diverses réponses statistiques obtenues dans les résultats détaillés de cette méta-analyse, une conclusion nette s’impose à sa lecture.
Les effets négatifs des pesticides sur la faune du sol apparaissent bien évidents. En particulier pour des scénarios de combinaisons de plusieurs substances dans des doses recommandées et largement basés sur des études de terrain. La discussion de l’étude ne repose donc en rien sur des doses d’exposition irréalistes ou exagérées.
Aussi, Beaumelle et al. (2023) confirment dans cette méta-analyse que l’usage des pesticides représente clairement une menace majeure pour la biodiversité des sols. L’empoisonnement de la chaîne alimentaire interroge quant à la résilience de la biodiversité. A l’heure où s’amorce un déclin des Insectes et des Oiseaux en milieux agricoles, cette nouvelle étude ne peut qu’alerter sur la qualité de notre environnement.