Destruction du Choucas des tours : une mesure inutile ?

La polémique autour de l’abattage de Choucas des tours (Coloeus monedula) enfle sur les réseaux sociaux depuis quelques semaines. Alors que les Préfectures du Maine-et-Loire, du Morbihan, du Finistère et des Côtes-d’Armor publient de nouveaux arrêtés de tir sur l’espèce, les associations d’environnement s’apprêtent à contester ces mesures. En Bretagne, l’arrêté porte sur 12.000 choucas, contre 500 en Maine-et-Loire. A l’origine de ces dérogations, le secteur agricole pointe du doigt depuis des années les dégâts provoqués par ce petit corvidé. Mais comment en est-on venu à tirer sur une espèce protégée, et sa destruction est-elle vraiment efficace ?

Choucas des tours. Crédits photographiques : Guillaume Calu

Une espèce protégée en France

Le Choucas des tours bénéficie en France du statut d’espèce protégée depuis 1989. Les effectifs de l’espèce connaissaient alors un déclin modéré menaçant à long terme son maintien sur le territoire. Sur le plan européen, l’espèce est également protégée par la directive 2009/147/CE ou « directive oiseaux ». L’article L411-1 du Code de l’Environnement stipule très clairement que la destruction des adultes, des poussins ou des œufs d’espèces protégées est formellement interdite. Cependant, l’article L411-2 permet dérogation au statut d’espèce protégée à condition qu’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante que la destruction. Cette situation s’applique notamment en cas de dommages importants aux cultures. En conclusion, ces dispositions permettent donc aux préfets de décider de mesures de destruction. Elles contournent alors les règles de l’article L427-6 sur l’immunité des espèces protégées mentionnées dans l’article L411-1.

Dans l’Ouest de la France, une grogne agricole

Les dégâts provoqués par le Choucas des tours ne sont pas récents. Depuis plus de dix ans, les représentants agricoles du Finistère signalent une augmentation des dégâts occasionnés, sans que les indemnisations de l’état ne viennent compenser les pertes financières. La colère gronde dans les campagnes, alors que la facture s’alourdit. Dès 2007, la Commission nationale de la faune sauvage et de ses habitats (CNFSH) autorise des actions de tirs par les lieutenants de louveterie. Ces bénévoles, à la fois chasseurs et auxiliaires de l’état, sont habilités à agir dans le cadre de dérogations de destruction d’espèces protégées (articles L427).

Ces mesures se poursuivent en 2009, puis en 2010, d’abord pour un maximum de 400 oiseaux par an. En 2017, le prélèvement monte à 4.000 choucas en deux ans rien que pour les Côtes d’Armor. Il monte dès 2018 à 10.000 oiseaux en deux ans pour le Finistère. Les dégâts se chiffrent en milliers d’euros pour les exploitations agricoles, et la grogne s’intensifie. Sur l’ensemble du Finistère en 2019, les Corvidés sont à l’origine de 81% des dégâts déclarés (en surface). Les choucas représentent 880 ha impactés, soit une estimation proche de 467.000 €.

Cette année, les témoignages d’agriculteurs montrent une forte exaspération, notamment pour les agriculteurs bio particulièrement touchés. Les pertes sur cultures s’échelonnent facilement entre 25% et 85 %, en raison de l’usage de semences non traitées. En effet, si l’enrobage au zirame semble être un corvifuge efficace, cette molécule de synthèse dangereuse pour l’environnement est interdite par le cahier des charges de l’agriculture biologique.

Des campagnes de tirs sans moyens

Mais la grogne ne se limite pas qu’aux agriculteurs, les chasseurs appelés en renfort s’estiment eux aussi lésés. En cause, l’absence d’aides de l’état pour exécuter les dérogations préfectorales. Les lieutenants de louveterie doivent ainsi acheter leur propre matériel. En 2017, la Fédération Départementale de Chasse des Côtes d’Armor et la Chambre d’Agriculture ont financé elles-même les munitions. En 2018, elles ont préféré ne pas renouveler l’investissement. Cette année, quatre cuma du secteur de Plounévez-Lochrist (29) se sont cotisées pour financer l’achat des cartouches de la société de chasse locale. Pour les agriculteurs, la peine est donc double, au manque d’indemnisations se rajoute la cotisation pour exécuter les mesures préfectorales !

Des mesures inadaptées prises dans l’urgence ?

Car si ces tirs de destruction sont réclamés par les acteurs locaux (élus, agriculteurs, chasseurs), ils n’en sont pas moins des mesures prises dans l’urgence pour « calmer les esprits » , sans réelle concertation scientifique. Les alternatives possibles sont donc tout simplement ignorées, à défaut d’être plus sérieusement envisagées. Une entorse à la règle définie par l’article L411-2 du code de l’environnement. Aussi, les associations naturalistes bretonnes se sont montrées réticentes à participer aux concertations. C’est notamment la situation du GEOCA qui ne souhaite pas cautionner la politique de destruction des préfets (Ar Vran, 28-1, 2017). L’association Bretagne Vivante s’est penchée pour sa part sur une étude régionale des populations de l’espèce.

Un souhait en partie entendu par l’Etat, qui a confié une étude sur le choucas breton à l’université de Rennes-1. En cela, l’Etat répond à son obligation d’assurer la mise en place d’inventaires des espèces protégées (article L411-5). Mais paradoxalement, les autorités ne suspendent pas les arrêtés préfectoraux. Pour la LPO et Bretagne Vivante, les tirs de destruction ne représentent pas la bonne méthode. De plus, ces mesures prises dans l’urgence sont en contradiction avec les suivis scientifiques en cours. C’est pourquoi ces associations attaquent les arrêtés préfectoraux en justice. Enfin, l’état doit également rendre des comptes à l’Union Européenne en cas de dérogation de destruction d’espèces protégées (article L411-6). Mais la destruction d’une espèce inscrite sur la « Directive Oiseaux » intervient alors que les méthodes alternatives sont encore soumises aux études scientifiques ! Encore une incohérence sur laquelle les associations de protection de la nature s’appuieront peut-être, à l’échelle de la justice européenne.

Agir sur les racines du problème

L’augmentation des effectifs de Choucas des tours en France (+42 % sur la dernière décennie) est favorisée aussi bien par les pratiques agricoles que par les niches urbaines disponibles. Opportunistes et intelligents, les Choucas des tours savent exploiter la moindre ressource disponible. Frédéric Jiguet, chercheur au Muséum national d’histoire naturelle (MNHN), souligne notamment comment la culture du maïs ensilage profite nettement à l’espèce.

De plus, la dynamique actuelle de l’espèce nécessite des travaux d’approfondissements. Les oiseaux immatures couvrent de grandes distances, et il n’est pas rare que les bandes maraudent d’une région à l’autre. Les campagnes de tir peuvent se révéler inefficaces en raison du remplacement immédiat des oiseaux abattus par de nouveaux jeunes erratiques. Enfin, les tirs de destruction ne s’attaquent pas à la racine du problème : les populations nicheuses. Le Choucas des tours niche à 80% dans les cheminées, d’où son nom. Cela peut d’ailleurs mener à des accidents en raison de la masse de branchages accumulés dans les conduits.

Récemment, cet oiseau protégé a provoqué indirectement de deux incendies de maison à Lanvollon et La Roche-Jaudy. La LPO note ainsi que sans protections barrant l’accès aux conduits de toiture, l’espèce ne peut qu’augmenter sa nidification urbaine. Une solution consisterait à combattre le mal à la racine en bloquant l’accès aux cheminées. Mais ces campagnes de destruction de nids nécessiteraient des financements pour les propriétaires. Par ailleurs, elle misent sur le long terme et ne donnent pas l’illusion d’agir dans l’urgence. Ce qui ne les rend par conséquent que peu séduisantes pour les autorités.

Reste alors la mise en place de pratiques agricoles en « cohabitation » avec l’espèce. C’est notamment ce que demande la récente ONG Crowlife. Eric de Romain, agriculteur et membre du CA de l’association, évoque ainsi le semis différé du labour, effectué plus en profondeur. Des techniques déjà proposés mais qui ne semblent pas convaincre. En alternative aux enrobages de semences, il existe l’effarouchement physique (décharges de gaz, bruits sonores). Mais le risque d’accoutumance des corvidés est important.

Un dossier complexe

Le dossier Choucas est donc très loin d’être clôt. Face à la pression légitime des agriculteurs, les préfets achètent une paix sociale avec l’autorisation de campagnes de tirs. Mais l’augmentation progressive des quotas de tirs et l’absence de moyens accordés signent déjà l’échec de la méthode. Destruction n’est pas (toujours) raison. Le Choucas des tours ne bénéficie pas du même capital sympathie que d’autres oiseaux plus colorés ou au chant plus mélodieux. Un handicap de départ qui est propre aux Corvidés, oiseaux bien trop souvent « mal aimés » du grand public comme des birdwatchers.

A l’inverse, le partage massif de l’affaire sur les réseaux sociaux par les comptes animalistes souligne l’attente d’une gestion non-destructrice de l’espèce par une partie de la population. Depuis l’exemple de l’Ibis sacré voici une quinzaine d’années, ignorer le rôle médiatique majeur de ces mouvements serait une grave erreur. Toute gestion d’espèce protégée se doit désormais, à tort ou à raison, d’inclure aussi ces éléments dans la concertation.

En conclusion, appliquer par défaut un seule type de réponse même décrite par le Code de l’Environnement, n’est jamais la bonne solution. Dans le dossier Choucas, la précipitation des pouvoirs publics et l’absence d’une réelle concertation scientifique menacent la gestion d’échec. Repenser la réponse appropriée nécessitera donc une approche multifactorielle. Mais elle devra mobiliser tous les acteurs, associations et citoyens locaux. Hélas, face à la systématisation de la « politique de crise », peut-on encore espérer l’élaboration d’un véritable plan de gestion à long terme ?

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