Les naturalistes désignent par Mammifères semi-aquatiques, non pas un taxon monophylétique précis, mais un ensemble de mammifères terrestres qualifiés d’amphibies. En effet, la biologie de ces animaux présente également des caractéristiques communes. Ils présentent des adaptations morphologiques diverses à la nage et leur fourrure est dense. Leur mode de vie est inféodé aussi bien aux milieux terrestres qu’aquatiques. Ces seconds milieux interviennent aussi bien totale ou partiellement dans leurs modes de vie (alimentation, déplacement, reproduction…). Ce sont donc des spécialiste d’écotones. Ils posent cependant problème aux gestionnaires de sites naturels lorsqu’ils sont capables de modifier, voire de dégrader leur habitat.
En France, une dizaine d’espèces sont ainsi désignées sous l’étiquette de « mammifères semi-aquatiques » : la Loutre d’Europe, le Vison d’Europe, le Vison d’Amérique, le Castor d’Europe, le Putois d’Europe, le Ragondin, le Rat musqué, le Rat surmulot, le Campagnol amphibie ou encore la Crossope aquatique. A cette liste commune se rajoute localement d’autres espèces, comme par exemple le Desman des Pyrénées.
Toutes ces espèces de mammifères ne partagent pas le même statut. La Loutre d’Europe, le Castor d’Europe, le Vison d’Europe, le Campagnol amphibie, le Crossope aquatique sont classés protégés (arrêté du 23 avril 2007 au Code de l’Environnement). Tandis que le Vison d’Amérique, le Ragondin, le Rat musqué, le Putois d’Europe sont classés nuisibles et peuvent être détruits toute l’année (arrêté du 30 juin 2015 pris pour l’application de l’article R-427-6 du Code de l’Environnement). Le Rat surmulot n’apparaît dans aucune de ces listes. Cependant étant classé susceptible d’occasionner des dégâts, la Loi interdit son introduction volontaire dans le milieu naturel et oblige à la destruction de tout individu capturé.
En France, le statut des Mustélidés selon le Code de l’Environnement fait débat. La SFEPM demande notamment la révision du statut du Putois d’Europe, avançant pour arguments l’effondrement de ses populations, l’incohérence de la France face à ses partenaires européens (le Putois d’Europe est classé à l’annexe III de la Convention de Berne et à l’annexe V de la Directive Habitats-Faune-Flore), et l’importance des services agro-écologiques apportés par cette espèce.
Indices de présence et suivi
Le suivi des Mammifères semi-aquatiques peut s’effectuer par observation directe (piège photographique, campagnes de capture-marquage-recapture, mortalités …) ou indirecte (empreintes, fèces, terriers, nids et couches, réfectoires, coulées, végétaux abîmés, mais aussi pelotes de réjection de rapaces nocturnes !). Quel que soit le protocole retenu, il requiert de solides connaissances naturalistes. Des associations de protection de la nature comme le Groupe Mammalogique Breton proposent également des formations aux naturalistes débutants.
Les protocoles varient également d’une espèce à l’autre, notamment en fonction de la taille. Les méthodes de prospection par quadras conviennent mieux aux espèces ayant un petit domaine vital (80-140 m pour le Campagnol amphibie), tandis que les suivis par linéaires de rivières et cours d’eau conviennent mieux aux espèces ayant un grand domaine vital (5-40 km pour la Loutre d’Europe). Depuis quelques années, l’émergence des sciences participatives a également permis de développer un réseau d’observateurs. Ces initiatives engrangent de nombreuses informations intégrables aux bases de données.
Menaces et Plans Nationaux d’Actions
Les mammifères semi-aquatiques sont victimes de nombreuses pressions défavorables à leurs populations. Cependant, la Loi ne les classe pas tous ne sous le même statut. En effet, une partie d’entre-eux se classent comme des espèces exotiques envahissantes. Historiquement, le Rat musqué, le Ragondin et le Vison d’Amérique sont des espèces non-indigènes. Elles furent importées puis élevées pour la commercialisation de leur fourrure avant d’être relâchées (volontairement ou non) dans le milieu naturel. La coprésence d’espèces de mammifères semi-aquatiques est le plus souvent défavorable à l’espèce indigène.
Par conséquent, le Vison d’Europe, déjà menacé par la destruction de ses habitats et le piégeage involontaire, se retrouve évincé de sa niche écologique par le Vison d’Amérique. L’état a déjà mis en oeuvre dans le sud-ouest de la France deux Plans Nationaux d’Actions (1999-2003 et 2007-2011) du Vison d’Europe. Leur objectif était de protéger les dernières populations présentes. Le premier, piloté par la GREGE-ARPEN, proposait l’étude diagnostic des facteurs menaçant l’espèce et la mise en place des premières actions. le second, coordonné par la DREAL Nouvelle-Aquitaine et l’ONCFS, visait également à renforcer l’outil politique de protection de l’espèce et améliorer la communication auprès des acteurs terrains.
Le retour timide des Mustélidés semi-aquatiques
Un Plan d’Action Intermédiaire (2015-2019) est ainsi venu renforcer les connaissances terrain. Il poursuit également la lutte contre le Vison d’Amérique, dans l’attente la mise en place d’un troisième Plan National d’Action décennal (DREAL Nouvelle-Aquitaine, Cistude Nature, ONCFS). Il ouvre aussi la voie à un programme d’élevage réintroductif du Vison d’Europe. Le Programme Européen de conservation (EEP) portant sur cette espèce est partenaire de cette action. Un plan LIFE Vison d’Europe (2017 – 2022) financé à 75% par l’UE et coordonné par la LPO poursuit désormais les efforts actuels de conservation de l’espèce et des habitats. Il a pour objectif la restauration d’habitats et de la continuité écologique du bassin, la lutte contre les espèces exotiques envahissantes et protection des sites de reproduction. Mais il est à craindre que le déclin de l’espèce en France ne soit irréversible ! Selon l’ONCFS il ne resterait plus que 250 individus sur l’ensemble du territoire.
Des espèces indigènes comme la Loutre et le Castor ont été fortement chassés notamment pour leur fourrure. En conséquence, les populations françaises ont frôlé l’éradication. Le retour remarqué de ces deux espèces suite aux mesures de protection n’écarte pas pour autant toute menace. Mortalité par collisions, destruction des habitats, activités humaines, braconnage, sont autant de facteurs actuels de destruction. La Loutre d’Europe bénéficie également d’un PNA (2018-2027). Les objectifs visent en outre le maintient des populations existantes. Mais également d’assurer le retour de l’espèce sur l’ensemble de son aire de répartition d’origine. Pour cela, le plan encourage la cohabitation et l’aménagement avec les structures humaines.
Les zones humides en sursis
Au cours du siècle dernier en Europe, plus de la moitié des zones humides ont ainsi disparu. La dégradation et la perte de ces milieux précieux figurent parmi les principaux facteurs de régression des populations de petits mammifères semi-aquatiques. La Crossope aquatique, par exemple, est sensible à la pollution aquatique. Le Campagnol amphibien, longtemps classé comme espèce nuisible, bénéficie en France d’un statut de protection que depuis 2012. Ce rongeur est sensible à la dégradation des habitats (recalibrage, artificialisation des cours d’eau, perturbations hydrologiques) ainsi que par l’introduction d’espèces non-indigènes et par l’empoisonnement (lutte chimique non-sélective contre les rongeurs par anticoagulants). Le Campagnol amphibie appartient en effet à la liste des espèces proposées pour la cohérence nationale des SRCE. L’espèce est également retenue pour la cohérence du PNA de la Trame Verte et Bleue dans plusieurs régions françaises.
La chasse, et plus particulièrement le piégeage, menace également le maintient des populations de Mustélidés semi-aquatiques. En effet, les piégeages autorisés du Putois d’Europe et du Vison d’Amérique donnent ainsi lieu à des confusions. Il s’agit alors de destructions involontaires du Vison d’Europe. La fragmentation des populations est qui plus est un obstacle au maintient de l’espèce. Leur isolement et l’appauvrissement génétique consécutif nuit également à l’état de bonne santé physiologique des individus. Autant de menaces qui accélèrent dans certains secteurs l’effondrement des populations restantes.